Le matériel de protection Gravereaux

L’implication de la Maison Gravereaux dans la fabrication de matériel de protection date de la Première Guerre mondiale. Jean-René Gravereaux raconte :

« La guerre déclarée, mon père était mobilisé à fin août 1914. […] Il devait participer au combat de Charleroi et être démobilisé, très rapidement, comme père de famille nombreuse […].

« Être à nouveau en mesure de reprendre en mains ses affaires était une occasion exceptionnelle dans le malheur de l’époque. Après avoir remis en route la fabrication de ses faux cols, encore portés par les « hommes de l’arrière », sans concurrence, ou presque, il a la voie libre pour développer ses affaires avant de se lancer dans les « fournitures aux armées ». Le Nord et ses industriels textiles et de confection étant occupé, il fallait fabriquer le plus loin possible du front. brassac-1 - OG1726_wpC’est donc incité par les Pouvoirs publics qu’il a acheté une usine à Brassac-les-Mines, à soixante kilomètres au sud de Clermont-Ferrand; c’est là qu’il devait faire fabriquer une partie des immenses marchés du Ministère de l’Armement. La « guerre des gaz », commencée fin 1915, nécessitait de créer un matériel de protection. Ce furent d’abord de simples « tampons », constitués de couches de gaze en coton, qu’on appelait des « bonnettes », simplement posées sur le visage. Il devait en être fabriquées d’énormes quantités avant l’adoption d’un masque protecteur. C’est à cette mise au point que participa mon père, notamment en empêchant la buée de se déposer sur les œillères par le collage d’une fine couche de cellophane, sur les verres de celles-ci. C’est ainsi qu’il eut à fabriquer des millions de masques à gaz et sacs porte-masque. C’est à cette époque qu’a été construit le grand bâtiment entièrement en bois de la rue Lazare-Hoche; c’est là que se produisit, en 1917, un grave accident qui coûta la vie à un ouvrier, ce dont mon père fut vivement affecté. » [1]

M2 (IMG_0045)_wpConsidéré comme la meilleure solution possible du moment, le Masque Gravereaux est adopté par une commission du ministère des Armées le 16 novembre 1915. Il s’en suit contrats, revenus et profits qui permettent à l’entreprise de prendre de l’expansion dans les années suivantes.

Forts de leur succès, les Établissements Gravereaux veulent répéter et étendre cette production à l’approche de la Deuxième Guerre mondiale.

1934 Ets Gravereaux - Masque a gaz 1-4_wp« Au début des années 30, la crise commence à sévir en même temps que le marché du faux col diminue rapidement; il avait déjà perdu près de la moitié de son importance depuis 1925; on parlait du réarmement allemand, avec la montée du National-Socialisme, de la guerre aérienne, et d’une probable utilisation des gaz sur les populations civiles. Il est alors apparu à Gérard qu’il fallait absolument se lancer à nouveau dans la fabrication de masques à gaz, où le nom de Gravereaux était attaché au modèle RG 17, et au moment où de nouveaux appels d’offres de l’Armée étaient lancés. De très importants marchés ont été attribués à mon père dès 1932, tant pour des masques que pour des sacs porte-masque; Brassac fut choisi comme lieu de production de ce matériel; la chemiserie était reprise à Boulogne. » [1]

Il faut structurer l’ensemble de ces activités et une division spécifique de l’entreprise (la deuxième) est établie à cette fin, comprenant sept branches :

  1. Masques à gaz pour l’Armée et les Administrations
  2. Parachutes
  3. Masques civils
  4. Appareils à circuit fermé
  5. Matériel pour abris
  6. Abris collectifs
  7. Scierie et fabrique de caisses à munitions.

1935-11 Union des femmes de France NP_wp« Les marchés se succédaient, tant en masques complets, qu’en sacs porte-masque, en même temps que l’on mettait à l’étude des masques pour la population civile dans différentes matières. On se lançait dans la conception d’abris souterrains, et un abri modèle était construit dans la cour de l’usine de Boulogne. On se lançait dans la fabrication de parachutes pour l’Armée de l’Air et on envisageait même de fabriquer des caisses de munition pour canons de 75! » [1]

L’on trouve ainsi trace, en 1935, de plusieurs contrats avec le gouvernement pour la fourniture de divers matériels parmi lesquels :

  • 1936-01 L'Aéronautique p16B_wp150 000 casques à ressorts pour appareil normal de protection (marché nº 438 DL, 7/6/1934)
  • 100 000 appareils de protection, type Fernez (marché nº 424 DL, 8/6/1934)
  • 1 000 parachutes VINAY, type 100 et 286 parachutes ALOZ type 100 (marché nº 955/4, 24/12/1934)
  • Sacs valises et rechanges de parachutes SALONE & LUCAS (marché nº 204/5, 8/4/1935)
  • Parachutes valises SALONE & LUCAS avec pièces de rechange (marché nº 213/5, 8/4/1935)
  • Matériels pour modification aux parachutes SALONE & LUCAS type 30 (marché nº 88/5, 12/4/1935)
  • 60 sacs de parachutes de nacelle (marché nº 389/5, 20/5/1935)
  • 400 000 casques à ressort (marché nº 636 DL, 19/6/1935)

« On est en 1933, l’apparence est d’une entreprise productive, bien organisée, à Brassac, la Combelle, Sainte-Florine, occupant plus de 800 personnes travaillant en plusieurs équipes. Pour ma part, je me souviens d’avoir été épaté, en juillet ’34, par l’organisation de ces productions de masques et de sacs, ainsi que par ces ateliers d’emboutissage, de fabrication de ressorts, de peinture et de traitement de cartouches. » [1]

Mais toutes ces fabrications ne peuvent se faire que dans de nouvelles installations et il faut faire d’énormes investissements financés par des emprunts. Certaines dépenses sont mal contrôlées et la production n’est pas exempte de problèmes.

« L’usine de Brassac était dirigée par Monsieur Pouzenc que je devais retrouver à Argentin, au moment de la Libération. Il m’a raconté un énorme accident de fabrication qui a été caché, pour je ne sais quelle raison : alors qu’un marché de 300.000 sacs était en fabrication, il demande à Boulogne de l’encre de marquage; on lui envoie de l’encre à marquer les faux cols, dont l’acidité était extrêmement forte, pour qu’après lavage le marquage soit définitivement indélébile. Quelques mois après la livraison du marché, Monsieur Pouzenc est alerté par les services de l’Armement de Montluçon. Les sacs sont brûlés et percés à l’endroit du marquage. C’est ainsi que 300.000 sacs furent enterrés devant l’usine de Brassac. Pourquoi avoir caché cet accident? Il a fallu refabriquer intégralement ledit marché; les conséquences financières en ont été considérables dans une situation déjà peu brillante, due à la mauvaise rentabilité des marchés et à toutes les études et essais en cours non encore commercialisés.» [1]

1936-12-14 Concordat p1a_wpLa dégradation de la situation financière de l’entreprise ainsi que de mauvais placements amènent un dépôt de bilan et une liquidation financière. Un concordat avec les créanciers est arrêté le 14 décembre 1936 stipulant que M. René Gravereaux doit abandonner la totalité des actifs reliés à la 2e division qui comportent notamment :

« Le nom commercial, les terrains et usines de Brassac-les-Mines, de La Combelle et de Sainte-Florine, le matériel de fabrication et le mobilier de la 2e division, situés tant dans les usines du groupe de Brassac que dans l’usine de Boulogne-sur-Seine, les marchandises, les brevets et licences, les modèles et études, la clientèle, les créances, ainsi que les bénéfices à provenir de l’exécution des marchés en cours pour les Ministères de la, Guerre, de l’Air et les Administrations de l’État » [2]

Mais le concordat prévoit également

« la conservation par René GRAVEREAUX du fonds de fabrication de cols et chemises (1re division à Boulogne), y compris l’immeuble à charge de payer, outre le passif hypothécaire et nanti dix annuités de 150.000 francs chacune » [3]

Ce qui apparaissait catastrophique se transforme plutôt en une « opportunité ». La Maison Gravereaux abandonne le secteur du matériel de protection, coûteux et compliqué à gérer, pour se recentrer sur la chemiserie et les articles de lingerie, domaine dans lequel elle possède expertise et renommée. L’entreprise ne met qu’environ cinq ans pour effectuer l’essentiel des remboursements prévus et reprendre un nouvel élan.

Emblème Éts Gravereaux - OG1695_wp


[1] Gravereaux, Jean-René. La Maison Gravereaux 1910-1941. Non publié.
[2] Concordat de M. Gravereaux, 14 décembre 1936.
[3] Homologations de contrats. Insertion rectificative Concordat Gravereaux. Journal non identifié, 1937.