Babyfil… à Cholet

À fleur de peau - carte exposition_wpLe Musée du Textile de Cholet tenait, du 3 décembre 2011 au 18 mars 2012, une exposition sur la mode enfantine sous le thème « À fleur de peau ». À cette occasion et en collaboration avec le Musée de la Chemiserie et de l’Élégance masculine d’Argenton-sur-Creuse, il présentait quelques produits et documents associés à la marque Babyfil.

Dans le catalogue de l’exposition, Nathalie Gaillard, attachée de conservation au musée d’Argenton, présente ainsi Babyfil.

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BABYFIL, une mode enfantine en partie argentonnaise

L’industrie de la chemiserie-lingerie est née à Argenton vers 1860 avec la création par Charles Brillaud du premier atelier mécanique. On y fabrique principalement de la lingerie pour hommes et femmes. Le terme lingerie, terme démodé aujourd’hui, regroupait les sous-vêtements tels caleçons et culottes mais aussi les vêtements de nuit…. Très vite, d’autres confectionneurs ouvrent leurs ateliers et dès 1875 Argenton se spécialise dans la fabrication de chemises et lingerie pour hommes.

Pendant la seconde Guerre Mondiale, des industriels parisiens choisissent de s’installer à Argenton, alors en zone libre. C’est le cas des Ets R. Gravereaux, implantés à Boulogne sur Seine depuis 1910, qui fabriquent chemises, faux-cols et manchettes. Cette entreprise familiale est dirigée par René Gravereaux. Le choix d’Argenton ne se fait pas au hasard car la Maison Gravereaux fait travailler dès les années 1930, un façonnier argentonnais, Monsieur Renaud. En mai 1940, René Gravereaux acquiert un fond de commerce pour y entreposer les stocks, puis loue un atelier consacré à la coupe et au repassage. Le travail de confection se fait essentiellement à domicile.

À fleur de peau p27_wpEn 1943, les enfants de René Gravereaux achètent la S.O.G.E.C. située dans l’ancien atelier Brillaud, ils font alors travailler 70 ouvrières. En 1946, avec le rachat puis la rénovation de l’usine Guiot située juste à côté, la S.O.G.E.C. devient l’atelier le plus important d’Argenton. On y fabrique les chemises Triplefil et les chemisiers pour femmes sous le nom de Bellafil mais aussi des pyjamas, robes de chambre… .

Après la guerre, l’entreprise cherche à se diversifier. Suzanne Marret et Françoise Lesur, les filles de René Gravereaux, proposent de créer une véritable mode enfantine. Madame Lesur se rappelle qu’à cette époque, ils « étaient les premiers à créer un département enfant, qu’il n’y avait pas de concurrence ». En 1947, Babyfil voit le jour. Les Ets Gravereaux fabriquent déjà depuis longtemps des chemises pour garçonnet sous la marque Triplefil mais elles sont à l’image de celles des adultes, rien à voir avec la collection pour enfants Babyfil. Celles conservées au musée datent des années 1930, l’une est à plastron amidonné et se porte avec un col amovible sous le costume de type « Eton ».

À fleur de peau p28_wpBabyfil comporte deux collections par an pour les enfants de 2 à 16 ans. Suzanne Marret se charge de la création et du patronage, Françoise Lesur choisit les tissus avec sa sœur, élabore les prix de revient et s’occupe de l’équipe commerciale. Tout ce travail s’effectue à Boulogne au siège social de l’entreprise, ainsi que la fabrication des petites séries pour fillettes. Les séries plus importantes sont fabriquées à Argenton dans l’atelier Babyfil dirigé par Madame Vincent. Cette unité se production se trouve dans l’atelier principal rue Charles Brillaud mais il est indépendant de la fabrication des chemises. Vers 1955, devant le succès de cette marque, l’atelier est transféré dans un autre local plus spacieux ainsi qu’à Saint-Gaultier, petite ville voisine. Deux cents personnes travaillent à la fabrication de robes pour fillettes, de salopettes pour garçons ou de barboteuses. A l’image des collections masculines, Babyfil habille aussi petits et grands pour la nuit.

Les Ets Gravereaux mettent en place une véritable politique commerciale pour Babyfil. En interne, des présentations de collections, véritables défilés de mode, sont organisées à Argenton pour les représentants de commerce qui vont ensuite sillonner la France. Les cadres de l’entreprise se joignent à l’équipe commerciale pour découvrir ces mannequins en herbe, recrutés parmi les enfants Gravereaux ou  ceux du personnel. Ces présentations se font dans l’enceinte de l’atelier, une petite estrade est alors montée le long de la salle afin que les enfants soient vus de l’ensemble de l’assistance. Grâce à un film de Jean-René Gravereaux, alors directeur de la S.O.G.E.C., nous savons qu’une de ces présentations a eu lieu dans le jardin de sa maison argentonnaise.

À fleur de peau p29_wpA Paris, ce sont les enfants de Suzanne Marret et Françoise Lesur, accompagnés de leurs cousins qui posent devant le photographe Deval les jeudis après-midis. Ces photographies prises en 1953 sont aussi le témoin des créations Babyfil, le musée ne possédant que très peu de modèles dans ses collections. 

Dans les années 1950, la publicité se développe et les enfants peuvent  déjà en être la cible. Les Ets Gravereaux font ainsi imprimer deux séries de buvards Babyfil, l’un consacré à l’histoire de la mode ciblant plutôt les filles, l’autre à l’histoire de l’automobile pour les garçons. S’adressant aux adultes, l’entreprise fait réaliser des cendriers reprenant les trois marques phares, Triplefil, Bellafil et Babyfil, et la rose, emblème de la Maison Gravereaux.

En 1964, la S.O.G.E.C. quitte l’atelier de la rue Charles Brillaud devenu trop étroit pour intégrer une nouvelle usine moderne construite dans le quartier des Baignettes à Argenton. La production Babyfil intègre elle-aussi cette nouvelle unité. En 1968, la S.O.G.E.C. est vendue au groupe Boussac ainsi que les marques Triplefil, Bellafil et Babyfil,  la production de ces trois griffes est alors arrêtée.

Nathalie Gaillard