6 juin 1910 – L’Université des Annales

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Cette journée-là, l’Université des Annales visite, pour la première fois – ce ne sera pas la dernière – la roseraie de L’Haÿ, dans le cadre de l’une de ses promenades-conférences…

 

Le Journal de l’Université des Annales du 15 octobre 1910 relate cette fête avec moult détails…

Au pays des Roses

« Ce fut une journée dont se souviendront les jeunes Universitaires des Annales… La promenade-conférence de lundi dernier les conduisit d’abord à Port-Royal de Paris; elles y écoutèrent une substantielle et fine causerie d’André Mesureur; elles visitèrent l’infirmerie de Marie-Thérèse et goûtèrent l’excellent chocolat des bonnes sœurs; puis, après avoir déjeuné gaiement sous les arbres de Robinson et fait un pieux pèlerinage à la maison d’André Theuriet, elles se rendirent à la Roseraie de l’Hay…

1910-10-15 Journal Université Annales p533_wp«  L’aimable et hospitalier M. Gravereaux les reçut en cet Éden. Assises sur les gradins d gazon du théâtre rustique, elles écoutèrent l’éminent conférencier Funck-Brentano, qui, dans une improvisation étincelante, évoqua la figure de la duchesse du Maine, et les splendeurs du château de Sceaux. Mme Truffier chanta divinement – accompagnée sur la harpe par le jeune virtuose, M. Mulot – les Roses d’Ispahan, de Gabriel Fauré, et Plaisir d’Amour, de Martini.

« M. Brémont lut, comme il sait lire, des strophes de Sully Prudhomme, et d’André Theuriet. Pour finir, Mlle Gladhys Maxence dit les beaux vers composés par M. Francis Caillard à la louange de l’amphytrion, de l’« enchanteur » M. Gravereau. »


La journée des roses

« Cette journée-là est toute enguirlandée du souvenir des roses, comme la page enluminée d’un missel. Des images charmantes l’ont traversée  […]

« Mais toutes ces images-là sont reliées, mêlées, décorées, recouvertes par les roses innombrables de la Roseraie de l’Hay. À l’entrée, on se doute à peine de l’enchantement qui vous attend. La grille, large, est ouverte; une allée de graners borde la maison claire, basse et charmante; une terrasse, à l’ombre, invite à contempler la vue. Mais, au tournant de l’allée, la Roseraie se découvre : des roses en grappes, en touffes, en arceaux, en berceaux; des roses, graves, largement épanouies, des roses échevelées, qui s’effeuillent. Une fête de couleurs et de parfums.

« On s’enfonce sous des tonnelles de roses, où des bouquets s’offrent de tous les côtés, et l’on arrive au théâtre de verdure, qui est bien la plus délicieuse terminaison d’une telle promenade.

« Des gradins d’herbe, une scène de gazon; quelques statues mi-grecques, mi-Empire, aux péplums légers; des colonnes minces où les roses s’enroulent.

« Dans ce décor, la parole est un enchantement. M. Funck-Brentano y parle de la duchesse du Maine (il devait nous faire, à Sceaux, sa trop courte et vivante conférence; mais il ne reste, hélas! rien du château), et l’on peut, à merveille, songer à la petite duchesse, à Voltaire, au Régent, aux « chevaliers de la Mouche à Miel », dans ce décor mi-champêtre, mi-artificiel, au milieu des roses. Plaisir d’Amour, les Roses d’Ispahan, chantés à ravir par la toute gracieuse Mme Molé-Truffier, qu’on bisse d’enthousiasme, les vers de Theuriet et ceux de M. Caillard, prennent, dans ce jardin, un caractère particulier, une grâce improvisée; on entend les oiseaux triller au milieu de l’accompagnement de harpe; puis, une sorte de feu de Bengale invisible illumine, d’un reflet rose fantastique, les colonnes, les fleurs, les statues.

« On souhaiterait s’égarer dans cette féerie, en quittant le théâtre, pour trouver, comme dans un conte, une table superbement servie.

« Et, justement, sous une tente de coutil rose, M. Gravereaux, le Mécène de l’Hay, et l’hospitalière et aimable Mme Gravereaux, ont fait préparer une collation.

1910-10-15 Journal Université Annales p535-2_wp« Puis, on est attiré par de grandes prairies qui s’étendent à droite. Des arbres y font une ombre accueillante et, là encore, des roses poussent, de larges buissons de roses aux pétales écartées, qui font songer à un champ de fleurs à parfums.

« C’est à grand’peine qu’on s’arrache à une promenade où chaque pas amène une découverte exquise. Telle rose vous arrête comme une lumière pâle, au bord du chemin; tel rosier étend une longue branche souple pour vous barrer le passage.

« Dans une pensée charmante et tout à fait gracieuse, M. Gravereaux a voulu que nous emportions un souvenir de cette journée sous la forme d’un bouquet odorant. Mais nous avions déjà un beau bouquet d’images, de sensations, de plaisirs, un de ces bouquets que l’on se plaît à effeuiller, à conserver, et dont on revient souvent respirer le parfum.

Une Universitaire : Jane A.


Le Gardien du Rêve

Poésie dédiée à Monsieur Gravereaux l’enchanteur de la Roseraie de l’Hay,
et dite par Mlle Gladys Maxhence au Temple de la Rose le 6 juin 1910

« C’était un enchanteur aussi bien qu’un esthète,
– Peut-être un philosophe et sans doute un poète –
Et, tandis que le monde, aux poursuites de l’or,
Divinisant la loi brutale du plus fort,
Se ruait, oublieux du Rêve et des artistes
Au seul choc exalté des vouloirs égoïstes,
Il avait, seul et loin des pratiques désirs,
Formé, pour oasis et cadre à ses loisirs,
Ce songe merveilleux de légende mystique :
Symboliser, poème pur, synthèse unique,
Au cœur harmonieux de son parc enchanté,
Multiple comme l’onde et beau comme l’été,
Vivante image et triomphale apothéose,
Tout le cœur de la France en un jardin de roses!…

1910-10-15 Journal Université Annales p535-1_wp« Donc, vers le même temps, les faubourgs des cités
S’étaient tant et si bien emplis, — trop habités, —
Que l’on y voyait plus d’arbres aux vertes branches,
Et que les gens d’alors, même en leurs clairs dimanches,
Ne portant plus jamais ni feuillages ni fleurs,
En avaient oublié le charme et les couleurs.
Et, vainement, le soir tendre comme un sourire,
Et doux, divinement, comme un regard d’amour,
Descendait apaisant sur le pauvre faubourg,
D’où montaient, cependant, des clameurs de délire :
Le soir n’apaisait plus les hommes de ce jour,
Chez qui régnait la haine en déesse infernale!

« Or, c’était une enfant d’autrefois, blonde et pâle.
Elle avait entendu, jadis, dire du bien
Du poète enchanteur, mystérieux gardien
Des rêves survivants dans sa maison royale.
Elle sentait — l’enfant de l’ancienne douceur —
Qu’il manquait autre chose à la foule inhumaine,
Que l’argent et le pain, dont, malgré ses mains pleines,
Elle n’aurait jamais assez pour son bonheur,
Que, ce qu’il lui fallait rendre, c’était son cœur.

« Et l’enfant, un beau soir, s’en fut conter ces choses
À l’enchanteur d’antan dans son jardin de roses.
Ce jardin, au sortir des tumultes maudits,
Était nombreux et clair ainsi qu’un paradis!
On y vivait le charme oublié des nuances,
Et la gamme infinie, aux délices immenses,
Des parfums enivrants qui versent les oublis!
Ce jardin emplissait ses regards éblouis
Et tout son cœur, nouveau de pures espérances…
Le bon roi de céans lui remit dans la main
Sa rose la plus belle, aux lèvres de carmin,
Et l’enfant se sentit apôtre… et s’en revint.

« Et, comme elle arrivait aux portes de la ville,
Aux premiers qu’elle vit, tendit la fleur subtile,
La fleur de l’idéal nécessaire et divin,
Et la foule, comme en l’ivresse d’un vieux vin,
Sentit, à respirer le parfum délectable,
Ses haines s’effacer comme un pas sur le sable;
Car, réveillée et rajeunie, ivre de force,
Telle, à l’avril béni, la sève sous l’écorce,
Elle aspirait et revivait, à défaillir,
En clartés d’autrefois, en rayons d’avenir,
En désir de comprendre, et d’aimer toutes choses,
L’âme de France toute au parfum de la rose… »

C.-FRANCIS CAILLARD.

(Vifs applaudissements. On demande l’auteur, qui vient saluer M. Gravereaux et tout le charmant auditoire.)