La roseraie de L’Élysée

Aménagée en 1914 par Jules Gravereaux, la roseraie de l’Élysée fut modifiée à quelques reprises et disparut complètement dans les années ’70 pour faire place à un parterre à la française. On ne connaît que peu de choses sur cette roseraie au cours du XXe siècle; ce qui peut s’expliquer par la vocation du Palais ainsi que par la nécessité d’assurer la sécurité et l’intimité des personnes qui y ont habité.

En faire l’histoire doit donc s’effectuer à partir de quelques écrits publics, mais aussi en s’appuyant sur les connaissances de ceux qui y ont œuvré. Yannick Cadet fut le Jardinier en Chef à l’Élysée de 1990 à 2023; il a ainsi largement contribué à l’aménagement et l’entretien du parc. Mais féru de l’histoire des jardins, il a aussi recherché et conservé tout au long de sa carrière tous les documents qui pouvaient se rapporter à ce qu’il appelle la fameuse « Roseraie fantôme »; ses archives personnelles comprennent d’ailleurs des photographies anciennes et quelques documents manuscrits rares. Elles sont donc fort précieuses…

1914 – La création de la roseraie

Le président Raymond Poincaré est à l’origine de la roseraie :

Dans le jardin, entre le corps central et l’aile latérale, il fera aménager une roseraie dont les arceaux métalliques subsisteront jusqu’à Georges Pompidou.[i]

Il en fait d’ailleurs une description dans ses mémoires[ii] :

Le miracle du jardin, c’est la roseraie, installée il y a trois ans par M. Gravereaux à la demande de Mme Poincaré, et qui fleurit sous les fenêtres du palais. Les rosiers grimpants habillent les réverbères, recouvrent les vieux troncs d’arbres de housses fleuries, festonnent et enguirlandent les espaliers. La roseraie comprend deux parties, l’une rectangulaire qui s’encadre entre le bâtiment principal et l’aile où se trouve mon cabinet, l’autre, circulaire, qui s’adosse aux premiers massifs du jardin. De sorte qu’un joli coin de parterre à la française forme comme un vestibule de style classique à l’entrée du grand parc anglais et romantique qui s’étend par derrière. Mais il faut revenir aux réalités.

L’hebdomadaire Le Cri de Paris[iii] raconte à sa façon l’origine de la roseraie…

À l’arrivée de M. Poincaré à l’Élysée, quelques fusains rachitiques achevaient de dépérir dans le jardin du Palais, lentement tués par l’ombre des grands arbres.

Pour égayer un peu la tristesse de la résidence présidentielle, on décida d’y établir une petite roseraie. Mais comment ? Les jardiniers de la maison s’entendent surtout à ratisser les allées et à ramasser les feuilles mortes. 

Mme Poincaré eut l’idée de faire incognito le pèlerinage de la roseraie fameuse de L’Haÿ. Le créateur de la roseraie, M. Jules Gravereaux, lui demanda galamment d’être la marraine d’une rose, inédite encore, et qu’il venait d’obtenir de semis, par le croisement de Mélanie-Soupert par Prince de Bulgarie. C’est un magnifique hybride de rose thé, au bouton compact, en forme d’urne. Les pétales, à leur épanouissement, sont d’ocre vif sur fond d’or éteint.[iv]

Gravereaux offrit, par surcroît, de pourvoir personnellement à l’entretien de la roseraie de l’Élysée. Sur ses indications, des carrés furent défoncés et enrichis de fumures appropriées. Mais, malgré tous ses soins, les rosiers se refusèrent à croître et à prospérer dans le jardin de la Présidence. On décida alors que, chaque année, les plus somptueuses variétés, préalablement élevées en pots à la roseraie de L’Haÿ, seraient transportées au faubourg Saint-Honoré, quelques semaines avant la floraison.

Cela se passait au mois de juin 1914, six semaines avant la guerre que les Allemands nous accusent d’avoir préparée.

1920 (Jean Millerand à l’Élysée)

Les fenêtres du cabinet du Président, comme celles du cabinet de M. Jean Millerand, donnent sur la roseraie des jardins de l’Élysée.[v]

1939-1940

Dans l’une de ses publications, la revue L’Illustration[vi] décrit le Palais de l’Élysée avec le Parc et la roseraie.


Aile, côté est du Palais de l’Élysée, avec le jardin et la roseraie


La roseraie, vue de l’appartement présidentiel

   
  Plan et perspective cavalière du palais

1947 (Vincent Auriol à l’Élysée)

Pendant les longues heures diurnes […] au travail, M. Vincent Auriol a la chance d’avoir constamment sous les yeux le décor fleuri de la roseraie, dont la couleur dominante, le rouge, se retrouve par un rappel discret sur l’uniforme du garde républicain qui s’y promène l’arme sur l’épaule.[vii]

1954 (René Coty à l’Élysée)

[…] Dans le parc, la roseraie fut réinstallée.[viii]

Calque annoté avec localisation
des variétés de rosiers,
1956
[ix]
Vue du cintre de la Roseraie
donnant sur l’hôtel d’Évreux, avril 1956
[x]

1959 (Charles de Gaulle à l’Élysée)

Elle [madame Yvonne De Gaulle] a remis en état la roseraie de l’Élysée, créée en 1913 par le président Poincaré.[xi]

Sa seule innovation à l’Élysée est la destruction d’une cloison qui coupe l’un des salons donnant sur la roseraie. La pièce plus claire peut ouvrir ensuite directement sur ses fleurs préférées.[xii]

La roseraie sous la neige, hiver 1965[xiii]

1969 (Georges Pompidou à l’Élysée)

Finie la roseraie qu’ils jugent surannée.[xiv]

L’espace entre l’hôtel proprement dit et le retour de l’aile était occupé, depuis Poincaré, par une roseraie limitée par des arceaux métalliques surannés. Ceux-ci disparurent et le parterre fut redessiné pour dégager, depuis l’aile latérale, la vue sur les jardins.[xv]

1974 (Valéry Giscard d’Estaing à l’Élysée)

En 1975, les jardiniers de Paris réaménagent le jardin…

J’ai [Anne-Aymone Giscard d’Estaing] simplement fait changer le dessin de la roseraie du jardin qui datait du président Coty.[xvi]

L’appellation la plus appropriée eût été, en effet, l’Arabesque, ou plus communément la Broderie, qui est en fait la réelle appellation de cet élégant parterre à la Française, composé de haies basses de buis et de parterres floraux.[xvii]

1995 (Jacques Chirac à l’Élysée

À la demande de madame Bernadette Chirac – qui adorait les roses -, l’architecte-paysagiste Louis Bénech rétablit une roseraie derrière la salle des Fêtes en 1996.

Une nouvelle roseraie est créée, avec le retour des roses thés et l’arrivée du rosier blanc Iceberg […][xviii]

2009-… (Nicolas Sarkozy, François Hollande
et Emmanuel Macron à l’Élysée)

Les rosiers présents désormais sont situés, depuis 2009 le long de la terrasse et, depuis 2014 le long des appartements privés, selon un choix de plantation de Yannick Cadet sur la base du projet initial de Louis Benech (1996).

Les variétés principales sont : ‘Yves Piaget’, ‘Louise Odier’, ‘Colette’, ‘Fru Dagmarc Hastrup’, `Salet’, ‘Jacques Cartier’, ‘Gertrude Jekyll’, ‘Golden Celebration’, ‘Golden Wings’, ‘Blanc Double de Coubert’, ‘Fée des Neiges’, ‘Botero’.[xix]

 


Une vue sur le jardin du palais de l’Élysée,
le 14 septembre 2012
[xx]


Références

[i] Poisson, Georges, L’Élysée, histoire d’un Palais. Pygmalion, Paris, 2010.

[ii] Poincaré, Raymond. Au service de la France, neuf années de souvenirs – L’année trouble, 1917. Paris, 1932.

[iii] Le Cri de Paris. 15 août 1915. Texte repris dans La Charente, le 18 août 1915.

[iv] Dessin : rose Madame Raymond Poincaré. Le journal des roses, juin 1914.

[v] Petit Journal (Le). Paris, 22 octobre 1920.

[vi] Illustration (L’). Le Palais de l’Élysée, cadre de la vie présidentielle. 8 avril 1939.

[vii] Coulom, Robert. À l’Élysée. Le Monde, 1er septembre 1948. I. – À L’ÉLYSÉE (lemonde.fr)

[viii] Meyer, Bertrand. Les dames de l’Élysée – Celles d’hier, celles de demain. Librairie Académique Perrin, Paris, 1987.

[ix] Calque annoté avec localisation des variétés de rosiers, 1956. Jean Dieumegard. Fonds Y. Cadet.

[x] Vue du cintre de la Roseraie donnant sur l’hôtel d’Évreux, avril 1956. Fonds Y. Cadet.

[xi] Denis, Thierry. Chiner les bustes de Marianne. Dans « Maison, brocante, cuisine, jardin ». RTL, 7 mai 2017.

[xii] Meyer, Bertrand. Les dames de l’Élysée – Celles d’hier, celles de demain. Ibid.

[xiii] Photographies argentiques provenant du Service Photo Élysée (1993). Fonds Y. Cadet.

[xiv] Denis, Thierry. Chiner les bustes de Marianne. Ibid.

[xv] Poisson, Georges, L’Élysée, histoire d’un Palais. Pygmalion, Paris 2010. Ibid.

[xvi] Meyer, Bertrand. Les dames de l’Élysée – Celles d’hier, celles de demain. Ibid.

[xvii] Cadet, Yannick. Document non publié.

[xviii] Denis, Thierry. Chiner les bustes de Marianne. Ibid.

[xix] Pourrat, Chantal. Une roseraie à l’Élysée. In Roses et roseraies (Bulletin de l’Association des amis de la roseraie du Val-de-Marne) ; no 117, septembre 2023.

[xx] Source : Premier dimanche de promenade champêtre dans les jardins de l’Elysée – ladepeche.fr