L’Exposition rétrospective (1910)

1910-05-22 L'Avenir de Saint-Germain_wp

Étiquette 1910 - Histoire rétrospective (2011-04_266)wpÉtiquette provenant de
l’ancien Musée de la Rose,
dans la Roseraie de L’Haÿ

 

 

L’Avenir de Saint-Germain,
22 mai 1910


1910-05-23 Le Figaro p1-1_wp

La vie de Paris
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Le Royaume des Roses
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« Il est certainement enviable d’être le roi du pétrole, ou le roi de l’acier, ou de tel autre formidable royaume industriel. Mais ce n’est pas un mince titre d’honneur que d’être le roi des roses, et le possesseur de la Roseraie de L’Hay n’a pas à l’heure actuelle de rival qui chez nous pourrait le lui disputer. Je ne vous parlerai pas aujourd’hui de cette orgiaque forêt fleurie du petit village qui domine Bourg-la-Reine, où toutes les roses de l’univers se trouvent réunies en d’inimaginables profusions. C’est déjà assez difficile que de vous donner une idée de toutes les choses inanimées, rassemblées par M. Gravereaux, qui furent inspirées par la fleur vivante, ou qui sont relatives à son histoire.

« Histoire singulière, mystérieuse, parfois dramatique, souvent émouvante, enivrante toujours. Le collectionneur a rassemblé tous les documents connus et inconnus, qui ont trait aux origines de la rose. C’est naturellement au berceau du genre humain, en l’inépuisable et insondable Asie, qu’elle a pris naissance. Cette paléontologie de l’adorable fleur, se constitue de moulages, de relevés sur les monuments les plus anciens et les plus vénérables. De la Perse, cela passe à l’Arabie, puis à la Grèce, puis à Rome, et l’on peut voir dans les vitrines cette chose troublante des roses retrouvées dans la tombe d’une jeune chrétienne, et à côté de ces minuscules et noirâtres momies de fleurs, le type même de la rose, très simple, qui se peut cultiver encore à présent.

« Car, ce qui n’est pas moins surprenant, et ce qui est tout à l’honneur des hommes, la rose, avec son affolante multiplicité de races, de familles, d’espèces, de formes, de couleurs, n’est pas moins une création, de l’humanité que,de la nature. La nature donne un thème, l’homme le varie et l’enrichit à l’infini. Les anciens poètes persans, qui ont chanté la gloire de la rose en des vers aussi capiteux qu’elle, seraient eux-mêmes surpris des transformations et des enrichissements par lesquels les rosiéristes modernes ont accru son royaume. À côté de ces documents 1910 Guide Exposition rétrospective c0_wpd’histoire et de ces titres de noblesse qui ont permis à M. Gravereaux de dresser un arbre généalogique de la rose, aussi branchu et aussi somptueux que celui des familles impériales les plus illustres, commence la série plus considérable encore des travaux qui, dans tous les arts, ont puisé dans le calice embaumé et vermeil leurs inspirations.

« Voici tout d’abord étroitement mêlée d’ailleurs à l’histoire, principalement celle de France et celle d’Angleterre la rose dans l’héraldique et dans la numismatique. Blason de mainte aristocratie, insigne de mainte monnaie d’argent ou d’or, elle évoque tour à tour des idées touchantes et redoutables. Une main princière a momentanément prêté pour l’exposition une suite d’étains à la rose, qui est sans prix.

« Puis, dans l’architecture, où elle est un ornement ou un symbole qui va jusqu’à l’épanouissement gigantesque des mystiques verrières. Dans le travail du métal, où elle va du robuste « chef-d’œuvre » des ferronniers, jusqu’au bijou le plus délicat. Plus encore dans la broderie, la dentelle, tous les arts textiles, et enfin dans le papier peint en toutes ces sortes de besognes, M. Gravereaux a recueilli des spécimens innombrables, de toutes époques et de tous pays, et c’est vraiment, cette suite de vitrines, un hommage aussi éclatant à l’industrie de l’homme qu’à la suprême beauté de la fleur.

1910 Guide Exposition rétrospective p02_wp« Et quand on a parcouru tout cela, on n’est encore qu’à la moitié du voyage. Il y a encore toute la littérature, toute l’imagerie, et enfin toute la peinture. Livres illustrés des poètes, des jardiniers, des parfumeurs et même des confiseurs, car on a non seulement fait de la rose le plus suave et le plus altier des emblèmes, mais encore,on ne sait combien de confitures et de liqueurs, de telle sorte que les palais qu’elle a décorés ne sont pas plus nombreux que ceux qu’elle a caressés. Estampes de tous caractères, de toutes époques, de tous sentiments : il y a des gravures, des lithographies en noir ou en couleurs, dont beaucoup seraient maintenant introuvables où la fleur glorieuse figure, soit comme personnage principal, soit comme accessoire, et va même jusqu’à jouer, sans perdre de sa fierté, le rôle de figurante dans des caricatures. L’énorme répertoire de pièces, d’objets, d’œuvres d’art, que tout cela représente, se termine sur les éclatants ou gracieux travaux des peintres modernes, depuis Rivoire jusqu’à Cesbron, depuis Madeleine Lemaire jusqu’à Bienvétû et Rosenstock, tous groupés autour de cet ancêtre célèbre et prestigieux: Redouté !

« Tels sont les étonnements et les plaisirs que nous réserve, pour peu de jours, la prochaine exposition florale. Tel est l’effort, unique, de ce passionné qui, après avoir rassemblé tant de richesses, se donne la joie de répandre à travers le monde des rejetons de la roseraie de L’Hay, et qui, après avoir doté Bagatelle d’une « filiale » délicieuse, s’apprête à orner La Malmaison, et peut-être d’autres domaines nationaux encore, d’une pareille splendeur. »

Arsène Alexandre. Le Figaro, 23 mai 1910.

Illustrations provenant du Guide pour servir à la visite
de notre exposition rétrospective de la rose.
Roseraie de L’Hay.