Dès qu’il commence à collectionner les roses, Jules Gravereaux s’intéresse à l’obtention de roses nouvelles par hybridation et en 1894, il procède à la fécondation de rosiers remarquables par leurs qualités odorantes.
En 1901, le ministère de l’Agriculture le charge d’une mission dans les Balkans pour étudier les procédés employés dans l’extraction de l’essence de rose et il publie, peu après son retour, un rapport ayant pour titre : La culture des Roses dans les Balkans.
Pendant plusieurs années, il poursuit ses travaux, cherchant, d’une part, à obtenir par hybridation des roses à parfum à grand rendement et, d’autre part, à évaluer les meilleurs procédés de fabrication d’essence de rose, par distillation puis par extraction.
Il publie les résultats de ses recherches en 1905, dans un opuscule intitulé : Essais de fabrication d’essence de Roses à la Roseraie de L’Haÿ.
De ces expériences, menées en collaboration avec Cochet-Cochet, sont nées deux variétés de roses qui ont vite acquis une grande réputation : Roseraie de L’Haÿ et Rose à parfum de L’Haÿ.
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L’ESSENCE DE ROSE FRANÇAISE
« Tout récemment, de très intéressantes expériences ont été faites en Fronce sur la culture des roses à parfum et l’extraction de leurs essences. Mais ce n’est point sur le littoral méditerranéen, dans le sol privilégié de la Provence, sous le ciel le plus clément aux floraisons. C’est en plein continent, aux environs de Paris. Tout le monde horticole connaît, au moins de nom, l’admirable Roseraie de L’Haÿ, où un passionné de la rose, un rosophile distingué, possède un véritable trésor, une collection unique au monde, où sont réunis et étudiés tous les types du genre Rosa, toutes les variétés connues et cultivées. C’est là que M. Gravereaux, l’heureux propriétaire de cet Eden moderne, a fait ces expériences, après avoir, en 1901, étudié sur place la culture des roses à parfum, dans la péninsule des Balkans.
« La production de l’essence de rose en France ne suffit pas à nos besoins. Nous avons recours aux produits étrangers, et surtout à ceux de la Bulgarie. Et malgré le droit de 50 francs qui frappe cet esprit à son entrée, nous importons annuellement plus du tiers de la production bulgare. C’est donc un article de commerce d’une véritable importance, et il y a un véritable intérêt pour les parfumeurs à trouver ici cc qu’ils vont chercher là-bas.
« Ces judicieuses observations, faites par M. Gravereaux, l’amenèrent à rechercher, par l’hybridation, des roses à parfum à grand rendement. Il se mit à l’œuvre, et après bien des essais il obtint, par d’habiles croisements d’abord 1a Rose à parfum de L’Hay, et plus tard une autre variété, supérieure en rendement a la première, et qu’il dénomma Roseraie de L’Hay, conservant ainsi à chacun de ces gains la trace de leur origine.
« Ces roses, hybrides de Rugosa, sont très parfumées, très florifères et franchement remontantes; l’arbuste est en plus d’une rusticité parfaite et reconnue. De jeunes plants distribués en France, en Algérie, à la Réunion, ont donné d’excellents résultats comme culture et rendement.
« Les premiers essais de distillation ne donnèrent d’abord qu’une essence de médiocre qualité. Mais après d’heureuses modifications apportées à cette opération, et en y appliquant les derniers procédés et les derniers perfectionnements, les résultats furent plus heureux et le succès couronnait l’entreprise. On obtient une essence qui peut être considérée comme pure; son odeur est plus tenace, plus persistante que celle de Bulgarie, et aussi plus agréable à partir du huitième jour de l’essai.
« On ne s’est pas borné, dans cette galerie quasi parisienne, à chercher les parfums des deux roses de L’Hay seulement; on a opéré sur toutes les variétés réputées les plus parfumées et les meilleures au rendement. Là, encore. M. Gravereaux a eu la satisfaction de constater la supériorité de ses gains : Parfum de L’Hay a donné 0 gr. 820 d’essence par kilo. de pétales, et Roseraie de L’Hay en a fourni 0 gr. 840. Toutes les autres variétés distillées ont donné des résultats inférieurs.
« Des calculs faits en ces expériences, il résulte qu’un hectare planté de la variété Roseraie de 1’Hay, à raison de huit mille pieds espacés d’un mètre en tous sens, peut donner 6.400 kilos. de fleurs, et, au bas mot, 5k. 120 d’essence, valant au minimum 5.120 francs.
« N’y aurait-il pas là un nouveau champ de culture ouvert à l’activité et à l’intelligence de nos jeunes et vaillants horticulteurs?
« Quoi qu’il en soit, les résultats obtenus par M. Gravereaux sont de toute importance. Ils intéressent tout à la fois l’horticulture, l’industrie et le commerce national, et, de ce chef, ils touchent à la question si capitale de l’économie sociale.
« On ne saurait donc trop féliciter celui qui, dans un sentiment de patriotisme élevé, a mis au service de son pays ses efforts et sa fortune, et aidé ainsi à la grandeur de la patrie par un labeur intelligent et fécond.»
- Taboury. Limoges illustré, 15 mars 1907.
Illustrations : Les roses cultivées à L’Haÿ en 1902.
La fabrication de l’essence de roses
Série de 6 images en chromolithographie éditées et distribuées gratuitement en Belgique par la compagnie Liebig. (Collection Jean-Luc Marret)
La petite ville de Kasanlik sur le versant méridional des Balkans est le centre d’une industrie toute spéciale : c’est là que l’on cultive les roses sur une échelle très étendue, à l’effet d’en extraire le plus fin et le plus précieux des parfums, l’essence de roses. On emploie surtout les fleurs d’une espèce rose clair à fleur simple; à l’époque de la récolte, on cueille à l’aube les boutons à peine éclos, pour les distiller le jour même.
2 – Le transport des roses aux appareils distillatoires
La récolte des roses est une fête pour tout le village. Chacun endosse ses habits de fête pour se rendre dans les plantations et lorsque les paniers sont remplis, on retourne en cortège, les femmes et les filles portant des couronnes de roses dans les cheveux.
Les roses cueillies sont mises dans de grands alambics en cuivre; ensuite on y verse environ 75 litres d’eau par 10 kilos de roses et l’on procède à la distillation. L’eau de rose que l’on obtient ainsi est soumise à une seconde distillation.
À la surface du produit de la seconde distillation se trouve une couche jaunâtre qui constitue l’essence de roses. Elle est enlevée soigneusement au moyen d’une sorte d’entonnoir minuscule muni d’une ouverture très étroite qui ne laisse passer que l’eau tandis que l’essence est retenue. Celle-ci doit être conservée à l’abri de la lumière et de la chaleur.
Pour s’assurer de la pureté de l’essence de roses, les marchands la mettent dans un bain-marie de 16° Réaumur. Si elle est pure, elle se fige à cette température, tandis que l’essence falsifiée le fait déjà à une température beaucoup plus basse. Toutefois cette épreuve n’offre pas de garantie tout à fait certaine, aussi beaucoup de commerçants ne se fient-ils qu’à la finesse de leur odorat. L’arôme de l’essence de rose pure (c. à d., non délayée avec de l’huile de géranium, ce qui se fait assez souvent) est si fort qu’il peut provoquer des maux de tête.
Pour obtenir un kilogramme d’essence, dont le prix s’élève à environ 2000 francs, il faut en moyenne 3000 kilogrammes de roses. Ce sont surtout les harems de l’Orient qui font une forte consommation de l’essence de roses, mais dans les pays de l’Occident aussi on sait apprécier de parfum si exquis.