L’œuvre de Jules Gravereaux

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L’œuvre de M. Jules Gravereaux
– La roseraie de l’Haÿ-les-Roses

par Henri GRAVEREAUX,
Haÿ-les-Roses,

in Les Amis des Roses,

journal de la Société française des rosiéristes, novembre-décembre 1935.


 

1935 Amis des Roses - L'oeuvre de M Jules Gravereaux p124 Ph

Vue de la Roseraie française. — Dans le fond, le Musée de la Rose.

Nous avons demandé au Lieutenant-Colonel H. GRAVEREAUX de vouloir bien nous donner une étude sur la Roseraie de l’Hay-les-Roses.

Le Lieutenant-Colonel H. GRAVEREAUX, collaborateur de son Père, a écrit spécialement pour nos lecteurs l’intéressant article qui suit, où est retracé le travail fécond du grand amateur de roses que fut notre Président d’honneur perpétuel, et où sont exposées les idées qui ont présidé à la création de la plus belle « Roseraie de France ».

Qu’il nous soit permis à cette occasion de rappeler notre profonde amitié et notre imprescriptible reconnaissance à celui qui créa la plus belle Roseraie de France et à celui qui l’entretient et la complète par amour de son Père et de son Pays.

J.-B. CROIBIER.

Collaborateur de la première heure de M. BOUCICAUT, M. Jules GRAVEREAUX fut un des fondateurs des Grands Magasins du « Bon Marché ».

Quand il se retira des affaires, il ne consentit pas à rester inactif. Ayant acquis une belle propriété, à l’Hay, près de Paris, il résolut de consacrer à l’horticulture ses qualités de travail, d’ordre et d’organisation.

En 1894, il a trouvé sa voie. Dès cette époque, en effet, il commença à s’intéresser aux Roses et à les collectionner.

Il réunit d’abord quelques centaines de variétés, les plus connues; mais il ne tarda pas à s’apercevoir que quantité d’autres étaient injustement délaissées; il en augmenta donc le nombre et, peu à peu, fut amené à vouloir les rassembler toutes, pour les étudier, les comparer et en orner ses jardins.

Aux Roses horticoles, il joignit les espèces sauvages, qui l’intéressèrent vivement, car beaucoup n’avaient pas encore de descendance horticole, et cette descendance promettait de donner des variétés nouvelles, très différentes des variétés déjà existantes.

Jules GRAVEREAUX correspondit avec tous les jardins botaniques, les horticulteurs et les collectionneurs du monde entier.

Il trouva partout bon accueil et aide efficace, car amateur désintéressé, il ne voulut faire aucun commerce mais, au contraire, favoriser l’extension des affaires des rosiéristes.

En 1899, il a rassemblé assez de rosiers pour pouvoir les disposer dans un jardin spécial; il fit appel à Édouard André, l’éminent architecte paysagiste, qui dessina pour lui une charmante Roseraie; elle devait rapidement se développer, se décupler et devenir célèbre.

Cette roseraie du début est le jardin triangulaire qui entoure aujourd’hui le « Temple de l’Amour ».

Pour la première fois, on vit un jardin d’agrément uniquement de rosiers : rosiers nains rangés en parterre, rosiers greffés sur de très beaux églantiers et faisant figure d’arbres, rosiers sarmenteux garnissant arceaux, guirlandes, tonnelles, pylônes, etc.

Ce fut une révélation, presque une révolution.

Jusqu’alors, en effet, si la rose était très estimée, le rosier n’était pas considéré comme arbuste décoratif; il n’était que peu ou pas admis dans les jardins d’agrément mais, le plus souvent, disposé en bordure des allées du jardin potager, afin que l’on pût en couper les fleurs, destinées, elles, à l’ornementation de la maison.

Dans la roseraie de l’Hay, les fleurs sont l’ornementation du jardin; on ne les coupe pas.

On trouvait en 1899, à l’Hay, outre des roses cultivées, une collection botanique et un jardin d’essai pour expériences de culture et d’hybridation.

Le 30 juin 1899, après une visite, André Theuriet pouvait écrire, dans le Journal :

« Tandis qu’il m’entretenait des secrets de l’hybridation, je contemplais avec délices ce vaste jardin de Roses dont les teintes blanches ou cramoisies ressortaient mieux encore sur le vert profond des futaies. Et je me réjouissais qu’en cette fin de siècle tapageuse et stérile, en dépit des politiciens, des rhéteurs et des cuistres, il y eût encore des coins de verdure et de soleil, des retraites ignorées et pacifiques où d’honnêtes gens demeuraient épris des beautés naturelles et se trouvaient heureux en faisant croître et fleurir des Roses ».

En 1900 paraît le premier catalogue; il était dédié à M. Viger, Président de la Société Nationale d’Horticulture, ancien Ministre de l’Agriculture, qui avait donné à l’œuvre de M. Jules Gravereaux de nombreux encouragements.
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J. GRAVEREAUX, Créateur de la Roseraie d’Haÿ-les-Roses, Président d’honneur perpétuel de la Société Française des Rosiéristes « Les Amis des Roses ».

 

Pour la partie botanique, M. J. Gravereaux avait eu la collaboration précieuse de M. J. Bois, le distingué professeur du Muséum de Paris; il avait été puissamment aidé aussi par les avis éclairés de M. Crépin, Directeur du Jardin Botanique de Bruxelles, M. Maurice de Vilmorin, chef de la célèbre Maison et de M. Cochet-Cochet, rosiériste à Coubert.

Pour la partie horticole, M. J. Gravereaux écrivait dans l’avant-propos :

« Nous avons cherché à réunir le plus grand nombre possible de variétés de Roses, non seulement en vue de l’agrément, mais encore et surtout dans le but d’en faire une étude comparative, seul moyen d’introduire quelque clarté dans leur nomenclature encore si embrouillée.

« Notre collection se compose aujourd’hui de plus de 3 000 variétés.

« Elle comprend, à côté des belles variétés d’obtention récente, une grande quantité d’anciennes roses disparues de jardins, comme certaines Provins, Cent-Feuilles, Moussues, etc., etc.

« Notre collection de Rugosa du Japon est importante et s’accroît tous les jours par les nombreuses hybridations que nous faisons à l’Hay.

« Nous comptons aussi beaucoup, pour l’obtention de variétés nouvelles, sur les croisements répétés que nous faisons en grande quantité avec les roses sauvages de notre collection botanique ».

Dans le jardin d’essai il existait une quantité de plantes issues de graines de rosiers sauvages, provenant de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique, de l’Amérique et même de l’Océanie.

Dès ce premier essai de catalogue, apparaissent les idées maîtresses qui, constamment, allaient guider M. J. Gravereaux :

  • Réunir toutes les formes du genre Rosa.
  • Mettre de l’ordre dans leur classement très « embrouillé ».
  • Les étudier au point de vue de la valeur décorative.
  • Augmenter le nombre des variétés par hybridation de types sauvages, peu ou pas utilisés.

En 1901, M. J. Gravereaux est chargé par le Ministre de l’Agriculture d’une mission ayant pour objet l’étude des roses des Balkans.

Il parcourt la Serbie, la Bulgarie, les environs de Constantinople et une partie de l’Asie Mineure; il y recueille une importante collection de plantes sauvages, et de précieux documents sur les procédés employés dans les Balkans.

Cette étude de la rose à parfum qui fit l’objet d’un rapport au ministre, devait être continuée à l’Hay et de très intéressants essais y furent faits en vue de créer une variété de roses de rendement supérieur à celui des roses utilisées jusqu’alors.

De 1900 à 1902, malgré le voyage en Orient, M. J. GRAVEREAUX a pu « débrouiller » ses collections.

Le catalogue « Les roses cultivées à l’Hay, en 1902, essai de classement » marque un progrès sur le précédent; il comprend près de 7 000 variétés, identifiées et classées.

L’avant-propos est d’André Theuriet; dans la roseraie, en effet, jardin d’étude, mais plus encore jardin d’agrément, les poètes, les botanistes, les horticulteurs se rencontrent et communient dans le même culte.

La première partie du catalogue est consacrée à la collection botanique qui réunit un millier de roses sauvages.

Tout est rangé suivant les sections de « La nouvelle classification de roses » de M.Crépin.

Ces sections ont été divisées en espèces, sous espèces, races et groupes; un herbier très riche est joint aux rosiers vivants et aussi des collections de feuillages, ou fruits, conservés en bocaux.

La deuxième partie étudie les collections horticoles.

On se représentera la difficulté d’un pareil classement, en considérant que, par exemple, seulement dans la race des Hybrides Remontants, près de 2 000 variétés durent être identifiées, puis rangées par groupes (le groupe Général Jacqueminot comprend 500 variétés!).

Chaque rosier, après identification, reçut une étiquette et, au pied, un bracelet de plomb numéroté; une fiche fut établie à son nom, donnant les renseignements suivants, chaque fois que cela fur possible.

Ses synonymes,
La section, l’espèce, la race et le groupe auxquels il appartient,
Le rosier père et le rosier mère qui lui ont donné naissance,
Son obtenteur et l’époque de sa mise au commerce,
Ses descriptions : port, rameaux, feuillage, aiguillons, fruits, etc.,
La forme et la couleur de ses fleurs,
Observations…, Histoire…, etc.

Pour vaincre les difficultés rencontrées lors de l’établissement, M. J. Gravereaux fut amené à mettre de l’ordre dans les termes botaniques ou horticoles, ordinairement employés pour la description des rosiers; « ainsi, tous les rosiéristes arriveront à parler le même langage et les travaux des uns pourront servir aux autres ».

C’est pour cela que M. J. Gravereaux publia en 1906 un « Manuel pour la description des roses cultivées à la roseraie de l’Hay ».

« Nos fiches, — disait que M. J. Gravereaux – dans l’avant-propos, — pourront apporter plus tard une contribution importante à l’histoire de la Rose, concurremment avec la collection de documents que nous sommes actuellement occupés à réunir…

« Notre intention est de constituer ainsi une réunion de matériaux qui nous permettent d’écrire l’histoire de la Rose, aussi complète que possible; s’il ne nous était pas possible de faire aboutir nous-mêmes cette tâche, nous laisserions du moins à ceux qui voudraient la continuer, l’importante part de nos recherches ».

Ce manuel, très clair, traite en 50 pages abondamment illustrées, des descriptions des rosiers, arbustes, bois, aiguillons, feuillages, fleurs, etc., puis il aborde la délicate question des coloris et en détermine les appellations précises, au moyen d’ingénieuses planches en couleurs dégradées, d’une utilisation très pratique.

Ce manuel a été adopté par la Société Nationale d’Horticulture, par la Société Française des Rosiéristes, et par le Congrès des Rosiéristes Français, réunis en juin 1906.

Dans le catalogue de 1902, quelques passages étaient consacrés à la bibliothèque de la roseraie.

Dans le manuel sur la description des rosiers, il est fait allusion aux documents réunis sur la Rose; en juin 1906, la collection de ces documents est assez complète pour que puisse en être publié le catalogue.

« La Rose dans les Sciences, les Lettres et les arts, pour servir à l’histoire de la Rose » est un in-quarto de 144 pages qui énumère tout ce qui a été réuni dans la bibliothèque et dans le musée de la roseraie.

Tout en continuant inlassablement à enrichir ses collections de plantes et de documents, M. J. Gravereaux s’attaqua à partir de 1906, à l’histoire ancienne de la Rose, tâche passionnante mais ardue, s’il en est.

Il put retrouver et montrer les étapes par lesquelles passèrent les églantiers primitifs pour devenir les magnifiques rosiers modernes.

En 1910, il fit figurer à l’Exposition Internationale de l’Horticulture, au Cours La Reine, une histoire rétrospective de la Rose où l’on vit l’affiliation des principales variétés horticoles avec les espèces botaniques ancestrales, leçon de choses les plus instructives et qui eut un grand succès.

Cette manifestation a été décrite dans le Journal de la Société Nationale d’Horticulture et elle fit l’objet d’un ouvrage de M. J. Gravereaux, modestement intitulé « Guide pour servir à la visite de notre Exposition rétrospective de la Rose » et qui est réellement un résumé précieux de la belle et longue histoire de la Rose.

Après avoir décrit les dispersions sur la terre des espèces botaniques et proposé un « arbre généalogique de la Rose », l’auteur nous montre les roses qui furent connues dans l’ancien Orient, puis par les Grecs, par les Romains, puis au Bas Empire, puis dans notre histoire jusqu’au XVIIIe siècle et enfin jusqu’à nos jours.

À la même époque, M. J. Gravereaux prit une part importante à la publication de l’ouvrage « Les plus belles roses au début du XXe siècle » que fît paraître la Société Nationale d’Horticulture.

 Document téléchargeable sur le site de Gallica (BnF) 

Lorsque la ville de Paris eut la très heureuse idée de créer une roseraie dans son magnifique domaine de Bagatelle, elle demanda conseil à M. J. Gravereaux pour la composition de cette roseraie, le nombre et le choix des variétés qu’il convenait d’y faire figurer. M. J. Gravereaux proposa de grouper une collection d’environ 2 000 variétés, qu’il prit parmi les plus belles ou les plus curieuses de celles réunies à l’Hay, et il en fit don à la ville de Paris.

La disposition de cette collection fut confiée à M. J.-C.-N. FORESTIER qui traça le si joli jardin que tous connaissent et admirent aujourd’hui.

Peu après M. AJALBERT, alors Conservateur de la Malmaison voulut aussi avoir sa roseraie et il alla trouver M. J. GRAVEREAUX; celui-ci accepta de constituer une roseraie à la Malmaison mais tint à ce que la roseraie fut contemporaine du cadre et ne comprît que des roses de l’époque impériale.

Il parvint, après de, longues recherches, à retrouver, parmi les roses anciennes, celles qui ont été autrefois réunies à la Malmaison par l’impératrice Joséphine et qu’illustra Redouté, le célèbre peintre de fleurs.

THOURET disposa ses rosiers dans les jardins et le catalogue en fut établi par M. J. GRAVEREAUX; c’est un délicieux petit ouvrage in-8″, édité par Richardin et dont la préface a été écrite par M. Frédéric Masson.

À l’Hay, depuis 1899, date de la création de la première roseraie, le petit jardin d’Édouard ANDRÉ s’était conservé dans sa forme primitive, mais les collections avaient largement débordé sur le parc et le potager.

La collection botanique avait été installée dans de larges plates-bandes bordant une allée de plusieurs centaines de mètres; la collection horticole avait occupé un triangle très allongé, qui allait du Musée au Théâtre de la Rose.

Ces deux collections, méthodiquement, mais aussi très artistement disposées, communiquaient avec la première roseraie par une place un peu resserrée située devant le musée.

En 1910, cette place fut agrandie de tout le potager et la Roseraie, depuis cette époque, occupe un hectare et demi. Véritable Conservatoire de la Rose, elle se compose de 12 départements; en les parcourant dans leur ordre logique, le visiteur peut se rendre compte des successives étapes de la Rose depuis ses origines jusqu’à nos jours.

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