Jules Gravereaux, héritier Boucicaut?

Une partie de la fortune de Jules Gravereaux lui provient de madame Boucicaut, mais était-ce peu ou beaucoup? Un extrait du Testament mystique de celle-ci nous en apprend davantage… Testament de madame Boucicaut (1886) p01_wp

 

Ceci est mon testament, auquel j’entends donner la forme mystique.

J’institue pour ma légataire universelle l’administration de l’Assistance publique, dont le siège est à Paris, avenue Victoria.

Mais, seulement aux charges et conditions expresses ci-après spécifiées, et sous le contrôle et avec l’assistance et le concours obligé de mes exécuteurs testamentaires, ci-après nommés.

En léguant ainsi, à ladite administration, ce qui restera de ma fortune, et dont je n’aurais pas disposé par legs particuliers et fondations, j’obéis à cette pensée que je ne puis mieux choisir l’agent du bien que je veux faire, en ne m’inspirant que de la seule charité.

C’est dans ce large sentiment, dégagé de toute préoccupation étrangère à la bienfaisance, que je prie l’Assistance publique d’exécuter mes intentions, en acceptant le legs important que je lui laisse.

Le legs universel qui précède est grevé de la charge d’acquitter et réaliser les legs particuliers et fondations, ci-après spécifiés, et de laisser s’accomplir, dans leur lettre et leur esprit, toutes les volontés que j’exprime au cours du présent testament.

Paragraphe premier Dispositions en faveur des employés du Bon Marché

Je pense d’abord à ceux qui sont mes collaborateurs dévoués, quel que soit le rang qu’ils occupent dans cette grande maison, que mon mari et moi, avons, avec eux, conduite à ce degré d’honneur et de prospérité où elle est parvenue.

Voulant témoignerma reconnaissance aux employés de tout ordre de ma maison de commerce du Bon Marché, qui seront en fonctions au moment de mon décès, je dispose ainsi que suit :

Premièrement. — Legs aux employés ayant moins de trois ans de présence.

Je donne et lègue à chacun des employés du Bon Marché, hommes ou femmes, qui, au moment de mon décès, seront entrés au Bon Marché et y auront commencé un service effectif, ne fût-il que d’un jour, quoique n’ayant pas duré trois ans, à chacun dis-je, une somme de (mille francs) 1,000 francs.

Deuxièmement. — Legs aux employés ayant trois ans accomplis et moins de six ans de présence.

Je donne et lègue à chacun des employés du Bon Marché, hommes ou femmes, qui,- au moment de mon décès, auront exercé leurs fonctions dans cet établissement, sans inter­ruption, depuis trois ans accomplis, et moins de six ans accomplis, une somme de 3,000 francs.

Troisièmement. — Legs aux employés ayant six ans de présence et moins de dix ans de présence.

Je donne et lègue à chacun des employés du Bon Marché, hommes ou femmes, qui, au moment de mon décès, auront exercé leurs fonctions dans cet établissement, sans interruption, depuis six ans accomplis, et moins de dix ans, une somme de 6,000 francs.

Quatrièmement. — Legs aux employés ayant dix ans, et plus de présence.

Je donne et lègue à chacun des employés du Bon Marché, hommes ou femmes, qui, au moment de mon décès, auront exercé leurs fonctions dans cet établissement, sans interruption, depuis dix ans au moins, une somme de 10,000 francs.

Cinquièmement. — Ouvriers, — entrepreneurs, — veilleurs professeurs.

Je donne et lègue à chacun des ouvriers et ouvrières travaillant dans ma maison du Bon Marché ou ses dépendances, à la journée ou aux pièces, et payés directement par la caisse de cette maison, ayant plus de six mois de présence et moins de six ans, 500 francs.

A chacun des mêmes ayant plus de six ans de présence, 1,000 francs.

A chacun des mêmes, avant passé un jour et moins de six mois dans ladite maison, comme souvenir, une somme de 100 francs.

Je donne et lègue aux ouvriers et ouvrières travaillant dans l’intérieur de ladite maison, et ses dépendances, mais au compte d’entrepreneurs et payés par eux, un souvenir de 100 francs pour chacun.

Je donne et lègue à chacun desdits entrepreneurs, 500 francs.

Je donne et lègue à chacun des gardiens, veilleurs de nuit, employés à ladite maison, savoir : 500 francs à ceux qui seront restés moins de six ans dans ladite maison, et 1,000 francs à ceux qui y seront restés davantage.

Je donne et lègue aux professeurs admis à ladite maison et payés par elle pour enseigner lettres, arts, sciences ou langues, une somme de 1,000 francs pour chacun d’eux.

Tous ces legs, non productifs d’intérêts, seront délivrés par mes exécuteurs testamentaires, dans les six mois de mon décès.

Le temps de présence des légataires dans la maison du Bon Marché, et l’appréciation des interruptions et des excuses, seront déterminés et fixés par mes exécuteurs testamentaires, d’après les principes adoptés dans les cas identiques ou similaires, pour la caisse des retraites des employés.

Je les prie d’être plutôt larges que stricts dans leurs jugements.

Sixièmement. — Legs de ma propriété de Fontenay-aux-Roses.

C’est encore pour être agréable à mes employés que je fais la disposition suivante :

Je donne et lègue ma propriété de Fontenay-aux-Roses, maison, bâtiments, jardin, droits en dépendant, objets de jardinage, arbustes et fleurs s’y trouvant, à la Société civile du Bon Marché, dont le siège est à Paris, rue du Bac, no 115, constituée par acte devant Me Gatine, notaire à Paris, du 4 août 1886.

Je ne veux imposer aucune servitude sur cet immeuble, et je le transmets libre de conditions.

Néanmoins, je dois dire que, dans ma pensée, ce don à ladite Société est de nature à permettre à celle-ci d’en faire servir l’objet au repos, au délassement, aux réunions des membres de ladite Société civile, et aussi à l’agrément et à l’utilité des employés de ma maison de commerce.

En ce qui concerne l’agrément, je n’ai rien à suggérer; mais en ce qui touche l’utilité, j’exprime le vœu que, dans les chambres et dans les dépendances agrandies, les malades sans gravité et les convalescents trouvent un asile salutaire et les soins paternels de ma maison de commerce dans ce qui fut ma maison préférée.

Paragraphe deuxième Legs à mes parents et amis.

Ces dispositions prises, je pense à vous, chers parents et amis, et voici ma volonté :

[…]

Puis :

À chacun des Administrateurs de ma Maison de commerce du Bon Marché, savoir : monsieur Plassard, président, et messieurs Émile Morin et Fillot, administrateurs, une somme de 50,000 francs, soit pour les trois, 150,000 francs.

Puis :

À chacun de Messieurs les employés intéressés de ma Maison du Bon Marché, dont les noms suivent, les sommes ci-après :

A monsieur Louis Berteaux, 30,000 francs; A monsieur Gravereaux, même somme de 30,000 francs; A monsieur Lemoine, même somme; A monsieur Hesme, même somme; A monsieur Droussant, même somme; A monsieur Savary, même somme; A monsieur Mugnier, même somme; A monsieur Boudin, même somme; A monsieur Ricois, même somme; A monsieur Ouvière, même somme; Et à monsieur Michel, même somme.

Puis :

[…]

Tous les legs particuliers ci-dessus contenus dans le présent paragraphe deuxième, produiront intérêt à 5 0/0 par an, lesquels courront du jour de mon décès et seront payables trimestriellement, terme échu, à la caisse du légataire universel débiteur. Lesdits intérêts cesseront bien entendu par la libération du capital.

La délivrance de ces legs en capitaux, c’est-à-dire le paiement de ces capitaux, aura lieu dans le délai de trois ans après ma mort, au plus tard.

Quant aux rentes viagères, sauf celle de madame Boucicaut, de Bellème, elles seront payables par trimestres et d’avance, seront incessibles et insaisissables, et le prorata d’arrérages trimestriels, encaissé par mes légataires viagers demeurera acquis à leurs successions, sans restitution, pour toute la partie du trimestre en cours postérieure à leurs décès.

Les paiements auront lieu à la caisse du légataire universel, quant aux intérêts des legs en capitaux et quant aux arrérages des rentes viagères.

Mais les remboursements en principal auront lieu dans les études des notaires à Paris de mes légataires particuliers, ou dans celle du notaire de la légataire universelle de ma succession représentée par mes exécuteurs testamentaires, ou dans celle du notaire de la légataire universelle, en observant, pour ceci, les usages et règlements conformes, en vigueur à Paris.

En édictant ces lieux de paiement, pour les capitaux, à Paris (avec observation que les légataires ne pourront les exiger ailleurs), j’ai pour but d’ôter dans la mesure du possible, à la réalisation de mes volontés, les contraintes et gênes que comportent inévitablement les procédés administratifs, et les déplacements de personnes non habituées à ces démarches, dans les bureaux d’une vaste et puissante administration.

J’entends que les legs particuliers ci-dessus faits aux employés et directeurs de ma Maison du bon Marché, ne les empêchent pas de recevoir leurs parts dans le legs général que j’ai fait plus haut, sous le paragraphe premier du présent testament. Ils cumuleront, au contraire, le bénéfice des deux positions.

Au cas de décès, avant moi, de l’un ou plusieurs de mes légataires conjoints, il y aura accroissement pour les survivants de ces légataires; encore que j’ai omis, exceptionnellement, de le dire. Seront réputés legs conjoints, les legs faits à plusieurs personnes, en même temps, d’une seule et même somme, ou d’une seule et même rente, ou d’un seul et même usufruit, sans indication de division entre elles.

[…]

Paragraphe douzième Nomination d’exécuteurs testamentaires.

Je nomme et j’institue pour mes exécuteurs testamentaires avec saisine, savoir :

1° Monsieur Jules Plassard, directeur du Conseil d’administration de ma maison de commerce;

2° Monsieur Émile Morin, membre du Conseil d’administration de la même maison;

3° M. Fillot, autre membre du Conseil d’administration de la même maison;

4° M. Gâtine, mon notaire, à Paris, y demeurant rue de l’Échelle, no 8.

[…]

Pour le cas où lesdits exécuteurs testamentaires ou l’un ou plusieurs d’entre eux viendraient à mourir avant moi ou n’accepteraient pas leurs fonctions ou seraient empêchés de les remplir avant leur entier accomplissement, je nomme pour les suppléer dans leurs mêmes titres, qualités et pouvoirs, après mort, démission ou incapacité juridique constatée et dans l’ordre suivant :

1° M. Paul Chalvet, docteur en droit, directeur de la Compagnie Foncière de France, à Paris;

2° M. Manceau, mon avoué, à Paris, successeur médial de M. Plassard;

3° M. Gravereaux, intéressé dans ma maison de commerce;

4° M. Hesme, également intéressé dans ma maison de commerce.

À tous lesquels, je donne tous pouvoirs nécessaires pour arriver aux fins ci-dessus prévues et exécuter mes dernières volontés, soit que je les aie exprimées par ce présent testament, soit que je les exprime plus tard. Et ce, pendant tout le temps que demandera l’entier achèvement de mes dispositions testamentaires, voulant que ces pouvoirs ne soient jamais contestés par qui que ce soit, à aucune époque, ni pour quelque motif que ce puisse être (m’en rapportant exclusivement à mesdits exécuteurs testamentaires pour la mesure et le tact à montrer dans leurs fonctions), le tout comme condition des legs universel et particuliers ci-dessus.

En cas de désaccord entre mes exécuteurs testamentaires, sur un point quelconque dans leur mission, j’entends que l’opinion de M. Plassard et, après lui, s’il venait à décéder ou à se retirer, celle du plus âgé, soit prépondérante, en départageant les avis et formant une majorité là où on n’aurait pu l’obtenir.

Dans les cas graves, et si mes exécuteurs en fonctions se mettent d’accord sur ce point, il leur sera loisible d’admettre à leurs conseils, avec voix délibérative ou consultative à leur choix, tous mes exécuteurs testamentaires suppléants.

L’opposition à cette admission d’un seul exécuteur testamentaire du premier degré suffira pour l’empêcher.

[…]

À Paris, le 16 décembre 1886.

(Signé) M. Guérin

[…]

Il en est ainsi en l’original ci-dessus littéralement transcrit, d’un des testaments de Madame Marguerite Guérin, en son vivant propriétaire négociante, demeurant à Paris, rue du Bac, no 115, veuve de M. Aristide-Jacques Boucicaut, ladite dame décédée en sa maison de campagne d’hiver, à Cannes (Alpes-Maritimes), le huit décembre mil huit cent quatre-vingt-sept; ledit testament fait en la forme mystique et son acte de suscription reçu par Me Gustave-Denis-Marie Gatine, notaire, à Paris, en présence de témoins, le vingt-neuf novembre mil huit cent quatre-vingt-sept, déposés au rang des minutes dudit Me Gatine, notaire à Paris soussigné, en vertu d’une ordonnance rendue pour M. le Président du Tribunal civil de première instance de la Seine, par M. Bourgoin l’un des juges de ce Tribunal, le onze décembre mil huit cent quatre-vingt-sept; cette ordonnance contenue au procès-verbal d’ouverture et de description dudit testament en date du même jour onze décembre mil huit cent quatre-vingt-sept.

Remarques (Jean-Luc Marret)

Jules Gravereaux a agi comme exécuteur testamentaire, si l’on se fie à l’inscription portée sur la plaque commémorative de l’inauguration de l’hôpital Boucicaut, le 1er décembre 1887. On y indique en effet qu’auraient été présents à celle-ci : « […] MM. Plassard Morin Fillot Gastine Manceau Gravereaux exécuteurs testamentaires de Madame Boucicaut […] » [1]. Mais je n’ai trouvé aucune autre information sur le sujet.

[1] FOSSEYEUX, Marcel. Inventaire des objets d’art appartenant à l’Administration générale de l’Assistance publique à Paris, p. 61. Berger-Levrault et Cie, Éditeurs. 1910.