Discours de Sophie Hasquenoph,
Maire adjointe de L’Haÿ, chargée de la Culture,
du devoir de mémoire et des Anciens Combattants
Monsieur le sous-préfet,
Mesdames, messieurs les membres de la famille Gravereaux,
Mesdames, messieurs les élus,
Chers amis,
C’est vraiment avec un très grand plaisir que je vous accueille ce matin, dans ce cadre éminemment magnifique qu’est la roseraie de L’Haÿ-les-Roses, j’oserais dire même la roseraie de Jules Gravereaux, puisque vous le savez tous, il en est le créateur, il y a de cela quelque cent ans.
Jules Gravereaux de fait a enrichi le patrimoine de notre ville et de notre département, en lui offrant le résultat de ses rêves, de son travail et de sa passion, résultat qui n’est autre qu’un jardin de roses à nul autre comparable en Europe. Je ne retracerais pas ici l’histoire de la roseraie, ni la biographie de Jules Gravereaux. Dans quelques instants, Jean-Luc Marret, vous parlera bien mieux que moi de son ancêtre, qu’il connaît parfaitement, même éloigné qu’il est dans son lointain Canada.
Je voudrais néanmoins souligner combien Jules Gravereaux était un homme de passion. Or, – et certains le savent – j’aime personnellement les hommes de passion, ceux-là mêmes qui s’investissent avec énergie et persévérance au service d’une cause, d’une œuvre, d’une création. Car ce sont ces hommes-là qui laissent aux différentes générations, plus qu’une simple mémoire privée, familiale, mais également un héritage à partager avec le plus grand nombre et en l’occurrence, pour nous L’Haÿssiens ou visiteurs de L’Haÿ, un héritage de roses.
C’est vrai, Jules Gravereaux n’est pas qu’un honorable ancêtre d’une grande famille, aujourd’hui dispersée un peu partout, en France et à l’étranger. Il appartient aussi à notre histoire l’haÿssienne, à notre patrimoine local et nous en sommes fiers et heureux.
Et lorsque la famille, comme c’est le cas ce week-end, rencontre les bénéficiaires de cet héritage, la fierté et la joie n’en sont que plus grandes et mérite bien une fête, fête que nous avons appelé tout naturellement « fête de la rose ».
Une telle fête a d’autant plus de légitimité que Jules Gravereaux lui-même aimait au début du 20e siècle organiser des fêtes dans son jardin, réunissant souvent le Tout-Paris chic, élégant et cultivé, qui se plaisait à assister à des conférences, à de beaux spectacles de musique, de danse ou de théâtre. Le célèbre mécène et dandy que fut Robert de Montesquiou par exemple vint à plusieurs reprises à L’Haÿ, invité par Jules Gravereaux pour y donner des conférences littéraires sur le thème de la rose. Sarah Bernhard, Jean Cocteau à leur tour animèrent le théâtre de verdure situé à quelques dizaines de mètres d’ici. Et combien d’autres encore, un peu moins célèbres, mais non moins souvent talentueux, ont arpenté les allées de cette roseraie ! Tous louèrent les qualités aimables et généreuses de Jules Gravereaux et comme le dit la revue intitulée « Les Amis de Paris » en 1911 (je la cite) : Jules « est un grand seigneur, qui a dit aux artistes : vous êtes chez vous, venez avec vos amis… ».
N’est-ce pas ce que nous faisons aujourd’hui, en ce 29 mai 2010, avec cette nouvelle Fête de la Rose ?
Mais une fête comme celle-ci ne pouvait bien évidemment se faire sans la présence de Jules Gravereaux. L’homme étant décédé en 1916, il ne nous restait qu’une présence imaginaire ou bien une présence sous une autre forme. C’est alors qu’il m’est souvenu qu’un buste de notre ami Jules, miraculeusement sauvé de la destruction par l’association des « Amis du Vieux L’Haÿ » il y a quelques années – et nous leur en sommes très redevables, je tiens à le redire aujourd’hui -, s’ennuyait quelque peu dans une pièce étroite et solitaire au Moulin de la Bièvre, non loin d’ici, même s’il avait retrouvé sa tête… ! J’avais donc trouvé la solution : rendre à César ce qui est à César, autrement dit rendre Jules à sa roseraie. Chose dire, chose faîte quelques mois plus tard. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui, vous pouvez admirer avec moi, le magnifique buste de Jules Gravereaux, réalisé en 1914 par le sculpteur Carillon, buste qui ne fait pas moins de 120 kilos – avis à ceux à qui viendrait l’idée de s’en emparer ! – et qui donc ce matin, retrouve avec bonheur sa roseraie, ses roses et ses délicats parfums.
C’est sous son regard bienveillant, sous sa protection en quelque sorte que nous allons ce week-end célébrer cette Fête de la rose, cent ans tout juste après la création du dôme de la roseraie et de l’organisation des parterres de roses en 12 divisions, c’est-à-dire 12 jardins ou allées à thème dessinées autour du bassin central par Henri Gravereaux, fils de Jules. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, en cette même année 1910, notre municipalité de L’Haÿ engage les premières démarches officielles pour faire ajouter au nom de L’Haÿ celui de « les Roses ». Consciente de la beauté et de la renommée de ce qui est devenu une merveilleuse roseraie, riche de multiples variétés, notre ville a tenu cette année-là à embellir son nom comme la roseraie a embelli son histoire et son paysage. Il lui a fallu néanmoins attendre l’année 1914 pour que ce vœu devienne réalité.
Cent ans après 1910 en tout cas, nous sommes là, nombreux, pour nous souvenir de ces événements, pour fêter tout cela, membres de la famille Gravereaux, élus, amis de la rose et de la roseraie, pour dire aussi merci à celui à qui nous devons tant : merci à « notre vieil ami Jules », comme se plaisent à dire ceux amicalement ceux qui l’ont sauvé de la destruction, les « Amis du Vieux L’Haÿ », représentés par Alain Mulot, son président et Jean-Gilles Engerrand, l’ancien président.
Avec cette association, je voudrais remercier aussi tous ceux qui se sont investis d’une façon ou d’une autre à cette manifestation, le Conseil général du Val-de-Marne (dont je salue les représentants), la Municipalité de L’Haÿ-les-Roses, les services culturels et techniques de notre ville, les services de la roseraie, M. le Sous-préfet qui a généreusement accueilli hier soir la famille Gravereaux dans la Maison Empire et dont nous avons squatté le garage pour y placer notre exposition sur la rose, le sculpteur Christian Gesland, qui a réalisé et installé le socle, enfin tous les artistes qui participent ce week-end à cette première « Fête de la Rose » du 21e siècle : peintres, danseuses, poètes …. que vous allez pouvoir admirer tout au long de cette journée.
Et si la rose est malheureusement éphémère, gageons que notre Fête de la Rose de L’Haÿ, elle, ne le soit pas. Qu’elle soit l’année prochaine et dans les années à venir, un temps fort de rassemblement pour tous ceux qui veulent rendre hommage à la rose et plus particulièrement pour nous à notre cher Jules Gravereaux.
Bien évidemment, pour conclure, je ne peux m’empêcher de songer à tous les nombreux poètes, qui ont aimé, chanté la rose et accompagné ainsi Jules dans sa passion. Leurs noms, leurs images demeurent, qu’ils soient ceux d’Hérodote, de Villon, Ronsard, Musset, Théophile Gautier, Victor Hugo, Colette, d’autres encore … Nous ne les avons pas oubliés, car la rose, la poésie, l’art ont su à jamais dépasser l’éphémère. Qu’il en soit encore ainsi demain, avec vous et pour vous.
Le grand poète persan Saadi écrivait au 13e siècle :
« Emporte une rose du jardin
Elle durera quelques jours,
Emporte un pétale de mon jardin des Roses,
Il durera l’éternité. »
À nous tous ici présents d’y croire, d’y rêver comme sans doute l’a rêvé Jules Gravereaux, se promenant au milieu de sa chère et belle roseraie.
Aujourd’hui, nous sommes réunis autour de lui, de ce buste que nous inaugurons sous un pâle soleil. J’espère qu’il s’y trouvera bien et n’hésitez pas à revenir le saluer, lorsque vous passerez par là.
Je suis sûre qu’il en sera honoré.
Discours de Jean-Luc Marret,
arrière-petit-fils de Jules Gravereaux
En mai 1994, nous nous étions réunis, ici même, pour marquer le centenaire de la création de la roseraie de L’Haÿ par Jules Gravereaux. Seize ans plus tard, la famille Gravereaux s’est à nouveau réunie hier et plusieurs d’entre eux sont ici pour cette inauguration.
Mais nous soulignons aussi le centième anniversaire de plusieurs évènements qui, au cours des mois de mai et juin 1910, ont marqué la vie de Jules Gravereaux, celle de sa famille et son œuvre dans le monde de la rose…
Créée à la fin du XIXe siècle, la roseraie de L’Haÿ s’est développée au fil des ans, mais son aménagement définitif – sous la forme que l’on connaît encore actuellement – date de 1910. Henri Gravereaux, le fils de Jules Gravereaux, avait dessiné les plans de la nouvelle roseraie et l’on vit apparaître en son centre le dôme, les pergolas adjacentes et le miroir d’eau. C’est aussi de cette époque que datent les douze départements qui composent ce nouveau conservatoire de la Rose…
Soulignons également que, le 17 mai 1910, un décret rendu sur la demande du ministre de l’Agriculture, monsieur Joseph Ruau, promeut Jules Gravereaux au grade d’Officier de la Légion d’honneur.
L’Exposition rétrospective de la Rose.
Quelques jours plus tard, le 25 mai 1910, s’ouvre au Cours-la-Reine, entre les ponts des Invalides et de l’Alma, l’exposition internationale horticole de printemps organisée par la Société nationale d’horticulture de France. À cette occasion, Jules Gravereaux trouve intéressant de présenter un aperçu de l’histoire de la Rose en une Exposition rétrospective; il publie d’ailleurs un guide pour servir à la visite de celle-ci, proposant et expliquant un arbre généalogique de la Rose.
Dans l’édition du 23 mai du Figaro, Arsène Alexandre écrit :
« Il est certainement enviable d’être le roi du pétrole, ou le roi de l’acier, ou de tel autre formidable royaume industriel. Mais ce n’est pas un mince titre d’honneur que d’être le roi des roses, et le possesseur de la Roseraie de L’Hay n’a pas à l’heure actuelle de rival qui chez nous pourrait le lui disputer. »
Et le vendredi 27 mai, les rosiéristes, réunis en Congrès, se déplacent en cortège d’automobiles jusqu’à L’Haÿ pour venir visiter la roseraie.
La promenade-conférence de l’Université des Annales.
Quelques jours plus tard, le lundi 6 juin, Jules Gravereaux reçoit à L’Haÿ les élèves de l’Université des Annales. Après la promenade dans la roseraie, les invités se retrouvent au théâtre de verdure pour y entendre conférencier, chanteuse et poète. La fête fut si réussie que l’Université des Annales revint en ces lieux deux ans plus tard.
À cette occasion, une comédienne de l’époque, Mlle Gladhys Maxence, déclame une poésie de Francis Caillard dont j’extrais quelques vers :
« Le Gardien du Rêve
À Monsieur Gravereau, enchanteur de la Roseraie de L’Hay.
C’était un enchanteur aussi bien qu’un esthète,
Peut-être un philosophe et sans doute un poète
[…]
Il avait, seul et loin des pratiques désirs,
Formé, pour oasis et cadre à ses loisirs,
[…]
Au cœur harmonieux de son parc enchanté,
Multiple comme l’onde et beau comme l’été,
Vivante image et triomphale apothéose,
Tout le cœur de la France en un jardin de roses ! »
Les baptêmes d’Hélène Ballu et Suzanne Gravereaux.
Moins de deux semaines après, le dimanche 19 juin, c’est sa famille que Jules Gravereaux a invitée dans sa propriété. L’archevêque de Paris, le cardinal Léon-Adolphe Amette, est aussi présent. En visite paroissiale à L’Haÿ, il se rend à la petite chapelle, à quelques mètres d’ici, et y baptise deux petites-filles de Jules Gravereaux. Hélène Ballu et Suzanne Gravereaux, ma propre mère. Une plaque souvenir sera installée ultérieurement dans la chapelle pour souligner cet évènement.
La visite du roi de Bulgarie à Bagatelle.
Le vendredi suivant Jules Gravereaux est à Bagatelle, dans cette roseraie à la création de laquelle il a largement contribué en 1907, alors qu’il a offert une sélection d’espèces botaniques et des 1 200 meilleures variétés de rosiers alors connues. Et ce 24 juin, il rejoint le Conseil municipal de Paris, le conservateur du jardin de Bagatelle, Jean-Nicolas Forestier et divers invités spéciaux pour accueillir le roi Ferdinand de Bulgarie et son épouse, la reine Éléonore. Jules Gravereaux accompagne les souverains, leur présente les roses et discute greffe et hybridation avec eux.
Cette visite mémorable a fait l’objet de nombreux articles dans les journaux de la capitale et l’on trouve, sur la page couverture de L’Illustration, en date du 2 juillet 1910, une photo de notre ancêtre présentant une rose au roi.
Une médaille…
En moins de six semaines, en 1910, Jules Gravereaux aura donc montré qu’il était, en même temps, un scientifique de la rose et un hôte exceptionnel tant pour sa famille que pour tous ceux qui s’intéressaient à la Rose. Cent ans après, nous nous en souvenons!
En son honneur, et en son souvenir, j’ai donc décidé de faire frapper, à titre strictement personnel, une médaille avec son portrait et les trois qualificatifs qui, me semble-t-il, décrivent le mieux Jules Gravereaux : créateur de la roseraie de L’Haÿ, rhodologue et philanthrope. Et j’ai le plaisir d’en remettre un exemplaire à madame Hasquenoph, pour les archives de la ville de L’Haÿ-les-Roses.
Merci et bonne journée