L’Haÿ, Jules Gravereaux et les rosières

L’Association des Amis du Vieux L’Haÿ a publié, en juin 2013, un fort intéressant article sur les rosières de L’Haÿ en 1913-1914.
Avec son autorisation, nous le reproduisons sur ce site.

Quand L’Haÿ couronnait une Rosière

Notre association, créée en 1984, avait eu un précurseur : « Le Centre Culturel Populaire de L’Haÿ-les-Roses », qui avait vu le jour après la Libération. Parmi de nombreuses activités, durant les années 60, celui-ci avait commencé à se pencher sur le passé de notre commune (sans, semble-t-il, envisager une protection du patrimoine). A sa demande, deux de ses membres, MM. Baudson et Chastagnol ont élaboré une Histoire de L’Haÿ-les-Roses qui a été essentielle comme base de départ des recherches et des actions que notre association devait mener plus tard. Le Centre Culturel Populaire a aussi édité une plaquette sur la Roseraie, dans laquelle il célèbre les travaux accomplis par M. Gravereaux, tant à L’Haÿ que dans d’autres roseraies.

Cette plaquette, j’ai eu l’occasion de la feuilleter il y a quelque temps, et je suis tombé en arrêt sur le passage suivant :

« Le village de L’Haÿ ne manquait pas de célébrer à sa façon l’œuvre de M. Gravereaux. Chaque année, en juin, toutes les jeunes filles de la commune, rassemblées à la mairie, élisaient « La Rosière de L’Haÿ » qui, précédée d’un gracieux essaim de fillettes, rendait visite au créateur de la Roseraie, laquelle, ce jour-là, était ouverte à tous. Evocation désuète qui fait peut-être sourire, mais ce sourire n’est-il pas teinté de quelque mélancolie ? »

Aussi, des débuts de la Roseraie jusqu’à la mort de M. Gravereaux, soit pendant une quinzaine d’années, on aurait couronné en grande pompe une Rosière à L’Haÿ ?

Mais il n’y a aucun document crédible qui fasse mention de telles festivités annuelles. De plus, alors que son « Histoire de L’Haÿ » fourmille de détails pittoresques, M. Baudson ne fait aucune allusion à une tradition de cette nature.

Il y a une vingtaine d’années, faisant des recherches aux Archives départementales – sur de tout autres sujets – j’avais remarqué dans des procès-verbaux anciens du conseil municipal de notre commune qu’il avait été question de Rosière en 1913 et 1914. A tout hasard, j’avais photocopié ces documents. Je les avais un peu oubliés par la suite ; je les ai retrouvés :

Procès-verbal du conseil municipal d’avril 1913

1913-03-06 Ville de L'Hay - Visite a la Roseraie_wp

Son vœu tendant à l’ouverture de la Roseraie, deux dimanches en juin, ayant été agréé par M. Gravereaux, le conseil exprime sa satisfaction, d’autant plus qu’il a été projeté de verser le produit des entrées au bureau de bienfaisance de la commune. Pour la Rosière, l’initiative vient de M. Gravereaux, et la municipalité n’avait évidemment rien prévu dans ce domaine ; sans nul doute elle va devoir s’investir (sauf pour la dot)…

La Rosière de 1913

Qu’est-ce qu’une Rosière ? Sans employer le vocable, M. Gravereaux en dresse à peu près le portrait : « il s’agit d’une jeune fille vertueuse et nécessiteuse »[1]. Ce dernier point peut simplement donner à entendre qu’elle ne doit pas être choisie dans une famille aisée.

C’est en fonction de ces critères que le conseil municipal de L’Haÿ – ou son émanation, le comité des fêtes – a choisi Mlle Eugénie Picq, jolie jeune fille de 21 ans, née à L’Haÿ, orpheline de père et aînée de quatre enfants. Elle secondait sa mère, domestique, du mieux qu’elle pouvait pour élever ses frères et sa sœur. Sa conduite était sans nul doute au-dessus de tout soupçon.

Le Petit Parisien du 9 juin 1913

Le Petit Parisien du 9 juin 1913

Dans les localités qui avaient adopté la coutume, on remettait initialement à la demoiselle élue une simple couronne de roses, ce qui a donné la dénomination de Rosière.

AVL 37 ROSIERE L HAY 1914
Peu à peu, on a ajouté à la couronne un cadeau, le plus souvent en « espèces sonnantes et trébuchantes », destiné à servir de « petite dot » à la jeune fille. M. Gravereaux a ainsi offert à Mlle Picq 500 francs/or, ce qui ferait aujourd’hui environ 1600 euros.
On trouve un récit des festivités du couronnement de notre Rosière dans le numéro du 5 juillet 1913 du Gaulois du Dimanche [1].

Le journaliste qui a couvert ces festivités précise que c’est « la première fois » qu’il y a eu un couronnement de Rosière à L’Haÿ.

Donc le 8 juin 1913 au matin, Eugénie Picq, qui demeurait rue des Tournelles, s’est rendue à la Mairie. Là des jeunes filles désignées comme ses demoiselles d’honneur, l’ont revêtue d’une robe blanche et d’un grand voile blanc, un peu comme une mariée.

Devant l’Hôtel de Ville, le maire M. Bernhard, après une petite allocution, lui a posé sur la tête une couronne de roses blanches, et lui a remis le don offert par M. et Mme Gravereaux. Après un léger lunch, Mlle Picq, au bras de l’officier municipal, précédée d’une douzaine de petites filles aussi couronnées de blanc et suivie de ses demoiselles d’honneur, a traversé le centre du village, saluée par une population enthousiaste.

Elle s’est rendue à l’église où, après un salut solennel, elle a reçu la bénédiction du curé. Puis, fanfare municipale en tête, elle a traversé l’espace qui sépare l’église de la maison Empire, où le maire l’a présentée à M. et Mme Gravereaux. Une grande table couverte de roses blanches était dressée dans le jardin et un banquet a été servi.

La demoiselle, toujours avec son cortège, eut ensuite droit à une longue promenade à travers les allées de la Roseraie, en pleine floraison. Sous les ombrages du parc, la fanfare en fin d’après-midi joua tout son répertoire, et le soir la fête se termina par un feu d’artifice.

Une belle journée en somme très édifiante…

Dans les allées de la Roseraie de L’Haÿ

Dans les allées de la Roseraie de L’Haÿ

M. Gravereaux faisant les honneurs de la Roseraie à la Rosière

M. Gravereaux faisant les honneurs de la Roseraie à la Rosière

Mais, après avoir été célèbre une journée, qu’est devenue Eugénie Picq ? Quatre mois après son couronnement, elle a perdu sa mère, décédée à 57 ans. Elle s’est retrouvée seule pour finir d’élever sa fratrie. Elle s’est engagée comme blanchisseuse à l’Etablissement Ste-Geneviève, 6 rue Bronzac (sœurs de St-Vincent-de-Paul).

Elle ne s’est mariée qu’à l’âge de 37 ans, en 1928, à L’Haÿ où elle a épousé Jules Guyot, un journalier de 41 ans. Elle n’a pas eu d’enfant. Dans un âge avancé, le couple s’est retiré à la Résidence Jean XXIII, tout nouvellement ouverte. Le mari y est décédé peu après, en 1970. Pour une raison indéterminée, Eugénie est alors partie dans un autre établissement, la maison de retraite Ste Anne d’Auray à Châtillon (« sous Bagneux » – Hauts-de-Seine) où elle est décédée le 4 septembre 1973.

La Rosière de 1914

Une année a passé. Dans la séance du 5 avril 1914 du conseil municipal, le maire donne lecture d’une nouvelle lettre de M. Gravereaux :

AVL 37 ROSIERE L HAY 1914

La fête de la Roseraie et du couronnement de la Rosière a été programmée, comme l’année précédente, pour le 1er dimanche de juin, le 7. Les festivités se sont déroulées, dans une ambiance certainement décontractée car peu de gens croient alors à l’imminence d’un conflit européen. C’est l’attentat de Sarajevo[2], le 28 juin, qui va soudainement ouvrir la porte au pessimisme.

Nous manquions totalement d’information sur la Rosière élue. Heureusement, un descendant des Gravereaux, M. Jean Luc Marret, a eu l’obligeance d’adresser à notre Association une coupure du journal qui a relaté en quelques lignes, sous le titre « Les fêtes de la Vertu », le couronnement récent de quelques Rosières d’Ile-de-France.

1914-06-08 Le Petit Parisien 2-2_wpL’heureuse élue de L’Haÿ a été Gabrielle Moncieau, âgée de 19 ans, qui avait été demoiselle d’honneur de la précédente Rosière. Il semblerait qu’elle ait été désignée par « ses aînées ».

Le Petit Parisien du 8 juin 1914

1914-06-08 Le Petit Parisien 4_wp

Elle a eu quatre demoiselles d’honneur : Thérèse Bonnal, Germaine Morleguem, Antoinette Lebouchard, Marie Aubin. Tous ces noms disent-ils quelque chose à des L’Haÿssiens actuels ?

La fête ne dura que l’après-midi. La demoiselle fut couronnée à la mairie où elle reçut la même dot de 500 francs/or que sa devancière de 1913. Il y eut ensuite une cérémonie à l’église, puis une visite de la Roseraie et un lunch offert par M. Gravereaux.

A Sarajevo, l’archiduc héritier de la couronne d’Autriche est assassiné par un Serbe. Après l’envoi d’un ultimatum à la Serbie, que celle-ci n’acceptera que partiellement, l’Autriche lui déclare la guerre ; Le jeu des alliances enclenche un processus qui conduit en quelques semaines à une guerre générale en Europe. C’est le 3 août que l’Allemagne nous déclarera la guerre.

Pendant la Grande Guerre, le temps ne sera plus aux festivités. En 1915, c’est pour un monument aux morts, avenue Larroumès, que M. Gravereaux fera œuvre de générosité. Il décèdera en 1916.

Il ne sera plus jamais question de couronnement de Rosière à L’Haÿ.

Après les deux guerres mondiales, simultanément à l’évolution des mœurs, la plupart des localités qui couronnaient des Rosières ont abandonné cette tradition. Il n’en resterait plus que quelques dizaines à l’avoir maintenue (alors qu’il y a 36000 communes en France…). Partout où la coutume a pris fin, son souvenir s’est peu à peu estompé, quand il n’a pas disparu complètement… comme à L’Haÿ.

Georges Massiot

AVL 37 ROSIERE L HAY 1914

Parmi les localités qui résistent : à La Brède (Gironde), en 2012 on a couronné la 117e Rosière de l’histoire de la commune.

 

 

 

 

 

Affichette figurant dans une vitrine de l’ancien musée de la Roseraie

Affichette figurant dans une vitrine de l’ancien musée de la Roseraie

Sources

La Roseraie de L’Haÿ-les-Roses par le Club Culturel Populaire de L’Haÿ
Le Gaulois du Dimanche du 5 juillet 1913
Revue L’histoire N° 178 – Sarajevo
Archives municipales de L’Haÿ et de Châtillon
Revue Causette hors série – été 2012 (La Rosière de la Brède).

[1] Le journal « le Gaulois » a fusionné quelques années plus tard avec « Le Figaro ».

[2] A Sarajevo, l’archiduc héritier de la couronne d’Autriche est assassiné par un Serbe. Après l’envoi d’un ultimatum à la Serbie, que celle-ci n’acceptera que partiellement, l’Autriche lui déclare la guerre ; Le jeu des alliances enclenche un processus qui conduit en quelques semaines à une guerre générale en Europe. C’est le 3 août que l’Allemagne nous déclarera la guerre.