Biographie de Jules Gravereaux (par Les Amis des Roses)

Au moment où nous le pressentions le moins, alors que nous supposions notre Président d’honneur encore dans toute la force de sa robuste vieillesse, une fatale nouvelle nous parvint : M. Jules Gravereaux était décédé le 23 mars en sein Hôtel de l’avenue de Villars.

Ce malheur nous fut connu trop tardivement pour qu’une délégation officielle de la Société puisse assister aux obsèques et le Comité administratif put seulement témoigner de son affliction par le télégramme suivant :

Mme veuve Jules Gravereaux,  4, avenue de Villars, Paris.

Le Comité administratif de la Société française des rosiéristes apprend avec consternation le décès de M. Jules Gravereaux dont le dévouement pour la Société et les immenses services rendus ne seront jamais oubliés. Le Comité me charge de vous transmettre l’assurance de ses profonds et sincères sentiments de condoléances.

Le secrétaire général :  Albert BOUTIN.


Tous les membres de notre Société apprécieront l’étendue de la perte que nous faisons en la personne de M. Jules Gravereaux. Ce grand malheur les attristera comme tous ceux qui connaissaient les qualités d’exquise urbanité, le culte qu’il vouait à la Reine des fleurs et ce qu’il a fait pour la propagation de sa culture.

Parlant de l’homme intime qu’il connaissait bien, M. Bouché nous a écrit :

«  La mort de M. Jules Gravereaux est une épreuve bien douloureuse pour la Famille. Personnellement je perds mon meilleur ami et partage la douleur des siens.

« Notre suprême consolation est de savoir que M. Gravereaux a eu la plus belle existence qu’un homme puisse rêver et qui se traduit par ces trois mots : Famille, Travail, Honneur.

« C’était un véritable patriarche, vénéré et adoré par celle qui fût la plus dévouée et excellente compagne, par ses enfants, par ses petits-enfants et ses nombreux amis.

« M. Gravereaux, avant tout, était l’homme de bien, d’une exquise bonté, joignant à son amour pour l’humanité, un amour passionné pour la Reine des Fleurs, allant au devant et secourant les infortunes avec la plus grande discrétion. «Il était heureux de faire le Bien. »

« Connaissant le proverbe de l’Arabe disant : « L’Arabe meurt lorsqu’il « a terminé sa maison et ses travaux », connaissant ce proverbe, ajoute M. Bouché, nous pouvions espérer, vu la grande et inlassable activité de notre cher ami, qu’il vivrait encore de longues années, apportant sans cesse des améliorations et embellissements dans sa Roseraie, dont il avait fait le véritable Paradis de la Reine des Fleurs. »

* **

Jules Gravereaux entra aux Magasins du Bon Marché à Paris, en 1871. Trois ans plus tard, M. Boucicaut, qui s’y connaissait en hommes, reconnut vite les hautes qualités commerciales de M. Gravereaux et le fit son associé en le nommant administrateur.

Retiré des affaires en 1888, M. Gravereaux acheta une propriété à l’Hay avec l’intention de se vouer au culte de la Rose.

Cette propriété dans laquelle se trouve un magnifique parc, planté d’arbres séculaires, est connue dans le monde entier, sous le nom de Roseraie de l’Hay.

La Roseraie se trouve au nord du Parc et contient plus de deux hectares.

C’est en 1895 qu’il commença sa collection dans un rectangle qui se trouve à l’entrée de la Roseraie et qui porte aujourd’hui le nom de Roseraie de Madame.

Depuis cette époque, M. Gravereaux consacra tout son temps et des sommes importantes pour arriver à faire de la Roseraie de l’Hay, le Paradis de la Reine des Fleurs.

En effet, rien ne peut donner l’idée de cet ensemble incomparable, lorsqu’au mois de juin des millions de roses s’épanouissent, en massifs, en tiges, en guirlandes, en pylônes recouvrant d’élégants portiques, des pergolas, des tonnelles, rosiers grimpants garnissant les colonnes d’un gracieux Temple de l’Amour, qui se trouve à gauche en entrant dans la Roseraie, au centre de massifs groupés dans tous les tons, plus harmonieux les uns que les autres.

Et, comme apothéose, au fond (le la Roseraie, le Théâtre de la Rose, édifié en plein air, en 1906, et inauguré pour la Fête des Rosati.

Tous les ans, M. et Mme Gravereaux donnaient des Fêtes auxquelles, à plusieurs reprises, prirent part les corps des ballets de l’Opéra et de l’Opéra-Comique.

A ces fêtes étaient conviés les amis de M. et Mme Gravereaux, l’élite parisienne et les Dames patronnesses des Amis des Roses.

Nous trouvons dans la « Seine Départementale » un article qui dépeint parfaitement le Théâtre la Rose :

« Le théâtre de la rose est d’une agréable ordonnance, avec son amphithéâtre circulaire gazonné, ses bancs de verdure et ses parterres de roses. Il est dominé par un Temple grec, imité du Petit Trianon, qui abrite une magnifique statue d’Aphrodite, la divine déesse poétisée par Pierre Louys. Le fond de ce prestigieux décor est tapissé de grands arbres, dont toutes les gammes de vert donnent plus d’éclat encore à la multiplicité des couleurs chatoyantes. »

Au centre de la Roseraie, vis-à-vis d’un Miroir d’eau, dans lequel se reflètent les Pergolas de la Terrasse, M. Gravereaux avait réuni, dans un pavillon rustique, un véritable musée renfermant une collection unique concernant tout ce qui a trait à, la Rose : tableaux de tous les grands maîtres, tissus, dentelles, poésies, porcelaines, étains, objets d’art, etc., etc.

 « Il me semble, vient d’écrire M. Jean Bernard, que lorsqu’il y a trois ou quatre ans, M. Jules Gravereaux me montra les richesses de l’Hay, je sortis comme ébahi. Il avait pris le soin de se procurer non seulement toutes les poésies publiées sur la rose, mais encore tous les contes écrits sur cette fleur. Il y en a des milliers et des milliers.

« Cet homme étonnant, ajoute M. Jean Bernard, avait réuni les reproductions des tableaux célèbres, où les roses sont mises au premier rang, chez les anciens et, les modernes, Boucher, Drouais, Mignard, Murillo, Nattier, .Rubens Van Loo, Mme Vigé Lebrun. Bouguereau, Chaplin, Dubuffe, José Frappa, Madeleine Lemaire, Turner, Tattegrin, j’en passe des centaines; il faudrait copier un long catalogue. Les sculpteurs, les architectes, les dessinateurs, graveurs et lithographes, ont leur large part dans ce musée. »

Nous avons d’ailleurs décrit toutes les merveilles de la Roseraie de l’Hay d’une façon détaillée dans les publications des « Amis des Roses », notamment celles de 1912 (page 134) et de 1913 (page 138).

La Roseraie de l’Hay ne suffisant pas à l’activité de M. Gravereaux, il créa la Roseraie de Bagatelle, fréquentée et admirée par de nombreux visiteurs.

A cette roseraie si habilement cultivée et organisée par M. Forestier, a lieu chaque année un concours international de roses nouvelles, sous les auspices de la ville de Paris.

M. Gravereaux fut le véritable promoteur du concours de Bagatelle. C’est, lui qui suscita les premiers envois.

L’importance et l’utilité de ce concours méritent d’être signalées. C’est en effet une véritable exposition permanente dont profitent toutes les roses envoyées, autant celles qui ne sont pas primées que les autres. Le concours de Bagatelle est un stimulant précieux pour les obtenteurs de roses nouvelles.

Certaines années le Jury a groupé parmi ses membres des notabilités rosicoles du monde entier. C’est dire le retentissement de cette institution qui restera comme une des plus heureuses dues à la féconde activité de M. Jules Gravereaux.

Le premier concours de roses nouvelles a eu lieu en 1007.

Plus tard, M. Gravereaux reconstitua à La Malmaison toutes les variétés de roses que cultivait l’Impératrice Joséphine.

Nous lui devons également une exposition rétrospective de « La Rose à travers les âges », qui obtint un grand succès, à l’Exposition de la Société nationale d’Horticulture de France, en 1910.

Enfin, sa dernière création fut la Roseraie de l’Élysée, digne de ses sœurs aînées, mais qui n’est visible malheureusement que pour les privilégiés.

Les amateurs et les professionnels font grand cas des ouvrages parus à la Roseraie de l’Hay, traités avec la haute compétence de M. Gravereaux et dont voici la nomenclature :

Ouvrages publiés :

1° Catalogue de la collection botanique du genre Rosa                    1899

2° Catalogue des Roses cultivées à l’Hay en 1900                           1900

3° La culture -des roses dans les Balkans                                       1901

4° Catalogue des Roses cultivées à l’Hay en 1902                           1902

5° Essai de fabrication d’essence de Rose à la Roseraie de l’Hay     1905

6° Manuel pour la description des rosiers                                        1905

7° La Rose dans les lettres, les sciences et les arts                        1906

8° Histoire rétrospective de la Rose                                                1910

9° Les Roses de l’Impératrice .Joséphine à La Malmaison                1910

En préparation :

La Roseraie de Bagatelle.

La Roseraie de L’Haÿ.

Aucune des questions qui touchaient à la rose ne laissait M. Jules Gravereaux indifférent. A la Roseraie de l’Hay il poursuivait des études sur les procédés de culture de la rose, l’emploi des engrais, la lutte contre les insectes et les maladies qui l’attaquent.

Chargé par le gouvernement d’une mission dans la péninsule dos Balkans, en 1901, il avait étudié les moyens de fabriquer l’essence de rose de Bulgarie qui, avant la guerre, fournissait la parfumerie française, anglaise et américaine.

Il a laissé un remarquable travail sur cette question et ses essais de fabrication d’essence de rose à la Roseraie de l’Hay ont enrichi cette industrie de précieuses indications.

Il obtint la Rose à parfum de l’Hay, de même que c’est à la Roseraie de l’Hay que revient la création de plusieurs variétés méritantes.

Le rôle de M. Jules Gravereaux dans notre Société fut prépondérant.

C’est parce qu’il avait accepté le titre de Président d’honneur, c’est grâce à ses nombreuses relations, à son active propagande en faveur des « Amis des Roses » que, depuis quelques années, le nombre de nos Dames patronnesses et de nos membres honoraires s’est accru de façon considérable.

C’est surtout à partir de l’année 1908 que l’impulsion donnée par M. Jules Gravereaux s’est fait sentir.

Il nous encouragea à améliorer nos publications, à les rendre attrayantes et intéressantes pour les amateurs. Notre Société prit alors un développement rapide qui permettait, à la veille de la guerre, les plus belles espérances.

Il suffit de consulter la collection de notre journal pour se rendre compte de l’heureuse évolution des « Amis des Roses » sous sa précieuse direction et ses sages conseils. Il avait groupé de telles bonnes volontés, amené des concours si éminents à la prospérité de notre chère Société que la reconnaissance que nous devons à ce grand bienfaiteur est sans bornes.

Le Comité parisien des « Amis des Roses », dont il a suscité la création, allait collaborer avec lui à nous faire acquérir encore une importance insoupçonnée.

Il conseillait notamment à la Société d’inspirer et d’aider un mouvement en faveur de la création de roseraies en France. Cela avait fait l’objet d’un rapport unanimement approuvé présenté à notre dernier Congrès de Biarritz et c’était l’œuvre à laquelle il se serait certainement consacré après la guerre.

Pendant vingt-cinq ans, M. Gravereaux se voua au culte de la Reine des Fleurs.

De simple amateur, il devint bientôt le véritable Mécène de la Rose et les services qu’il rendit à l’horticulture furent justement récompensés par la cravate de Commandeur du Mérite agricole et la rosette d’officier de la Légion d’honneur.

Si M. Gravereaux aimait sa Roseraie, il aimait aussi la commune de l’Hay à laquelle il s’intéressait.

Depuis quelques années, les libéralités de M. et Mme Gravereaux avaient, permis d’instituer une Fête patronale dont la principale attraction réside dans le couronnement d’une rosière dotée, par M. et Mme Gravereaux.

La Fête avait, lieu au mois de juin, au moment, de la pleine floraison et à cette occasion le public était admis dans le Parc et dans la Roseraie, moyennant, une modique entrée. Le produit de ces entrées se montant généralement à 7 ou 8.000 fr. était remis au maire de l’Hay, à l’intention des pauvres.

Par reconnaissance à son bienfaiteur, le maire de l’Hay. Demanda et obtint que la commune de l’Hay s’appelât « L’Hay les Roses ».

Par ce moyen, M. et Mme Jules Gravereaux avaient su joindre l’utile à l’agréable.

Depuis le commencement de la guerre. M. et Mme Gravereaux se rendaient à I’Hay les jeudi et dimanche pour assister à la distribution des soupes populaires, œuvre de Mme Gravereaux.

Et pour terminer cette belle carrière si bien remplie, nous devons dire que la dernière pensée du grand philanthrope fût pour les Enfants de l’Hay, morts au champ d’honneur.

Sa dernière visite à l’Hay, c’est-à-dire le dimanche 19 mars, fut pour se rendre compte si le monument qu’il faisait ériger serait bientôt en état de recevoir les plants de sa nouvelle rose qu’il avait nommée : « La France victorieuse »

Dans un interview paru dans « Le Flambeau », du 20 novembre, ayant rapport à ce monument. M. Paul Csell exprimait d’une façon saisissante les généreuses pensées de M. Gravereaux en terminant son article comme suit :

Je revêtirai ce monument de mes fleurs triomphantes. Elles envelopperont la pierre d’un manteau somptueux et, mieux que le ciseau du plus célèbre sculpteur, elles sauront l’embellir.

Sous le doux ciel qu’aimaient nos Enfants chéris, mes Rosiers encenseront leur mémoire, et, au sein même de la terre, par leurs mystérieuses racines, ils iront leur apprendre tout bas la délivrance de la Patrie.

* **

Hélas, Jules Gravereaux n’assistera pas non plus à cette délivrance et les épreuves de notre chère France eurent sans doute trop affecté son cœur d’ardent patriote.

A son œuvre, à ses œuvres plutôt continueront à se consacrer, nous en sommes persuadés, ses enfants MM. Henri et René Gravereaux. Ils en sont les dignes continuateurs.

Les « Amis des Roses » vénèreront son souvenir et s’inspireront de son glorieux exemple.

Que Mme veuve Jules Gravereaux, MM. et Mmes Henri et René Gravereaux et toute sa nombreuse famille trouvent ici l’assurance de la part profonde que nous prenons au malheur qui les frappe.

Que les hommages rendus à la mémoire de celui qui fut tant pour eux et pour nous puissent un peu adoucir leur douleur.

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Le Comité administratif réuni le 6 avril 1916, à l’annonce du décès de M. Jules Gravereaux, a levé la séance en signe de deuil.

Les funérailles de M. Jules Gravereaux ont eu lieu à Paris le samedi 25 mars, l’inhumation s’est faite au cimetière Montparnasse.

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