Biographie de Jules Gravereaux (par Désiré Bois)

Extrait du Journal de la Société d’horticulture de France (Cahier de juillet 1916)

NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR M. JULES GRAVEREAUX
par M. D. Bois

M. Jules Gravereaux est décédé à Paris le 25 mars dernier, dans sa soixante-douzième année. Il était officier de la Légion d’honneur et commandeur du Mérite agricole.

La Rose a perdu en lui un fervent adorateur, l’Horticulture, un ami, la Société nationale d’Horticulture de France l’un de ses membres les plus actifs et les plus dévoués.

Il naquit à Vitry (Seine), pays horticole par excellence, où il contracta, dès sa jeunesse, le goût qui devait en faire plus tard un enthousiaste disciple de Flore.

Après avoir été, comme administrateur, l’un des principaux artisans de la prospérité des Magasins du Bon Marché, il se fit admettre membre de notre Société lorsqu’il put jouir d’un repos mérité et se consacrer aux fleurs qu’il aimait tant, surtout à la Rose, objet de sa prédilection, dans le Château de l’Hay, près Bourg-la-Reine (Seine). Cette propriété est voisine de celle qui appartint au célèbre chimiste Chevreul, ancien directeur du Muséum national d’histoire naturelle. M. Gravereaux s’en était rendu acquéreur en 1892.

C’est là qu’il avait commencé à réunir une remarquable collection de ses fleurs favorites, lorsqu’il entreprit, en 1899, avec la collaboration d’Édouard André, l’éminent architecte-paysagiste, la création de la Roseraie qui conservera son nom à la postérité

La Roseraie de l’Haÿ – de l’Haÿ-les-Roses puisque ce nom a été officiellement donné à la commune en 1910 — est, en effet, devenue célèbre dans le monde entier grâce à la richesse sans rivale de ses collections, parfaitement ordonnées, où le Rosier figure de manière admirable comme dans un temple élevé a sa gloire.

On y voit réunies, non seulement ses innombrables variétés horticoles, les plus humbles comme les plus orgueilleuses, présentées sous les formes les plus diverses et les plus décoratives, mais aussi les espèces sauvages du genre Rosa, auxquelles appartiennent leurs types ancestraux modifiés par la culture à travers les siècles. Cette dernière collection, à la constitution de laquelle nous sommes heureux d’avoir participé, est complétée par un herbier spécial.

Une bibliothèque et un Musée, comprenant des publications et de nombreux objets consacrés à la Rose, permettent les recherches scientifiques, littéraires et artistiques sur la reine des fleurs (Voir la brochure : La Rose dans les sciences et les arts, Paris, 1905).

L’importance de l’œuvre s’est accrue peu à peu. Le nombre des espèces et des variétés cultivées a atteint un chiffre considérable. Le Catalogue des Roses cultivées à L’Haÿ, édition de 1902, en mentionnait déjà près de 7.000, et ce chiffre s’est trouvé porté à 8.000 en 1915.

Des études comparatives pour connaître la valeur des variétés, établir les synonymies, etc., ont été entreprises et ont donné lieu à la publication du Manuel pour la description des Rosiers, paru en 1905. L’obtention de variétés nouvelles par voie de croisements fut également poursuivie, ainsi que la recherche de celles qui sont particulièrement propres à la production des parfums, comme en témoigne l’opuscule : Essais de fabrication d’essence de Roses à la Roseraie de l’Haÿ, publié en 1905; M. Gravereaux avait fait dans les Balkans, en vue des travaux qu’il se proposait d’entreprendre sur cette question, un voyage dont la relation parut dans un rapport ayant pour titre : La culture des Roses dans les Balkans, Paris, 1901. Les modes de culture applicables au Rosier, les engrais les meilleurs pour assurer son développement, les moyens de combattre les insectes et les maladies qui l’attaquent, ont été l’objet d’études suivies.

D’importants résultats ont été ainsi obtenus et permettaient d’en espérer de plus grands encore dans l’avenir; aussi devons-nous souhaiter, dans l’intérêt général, la poursuite et la réalisation d’un programme déjà si utilement ébauché.

Parmi les Roses qui figurent aujourd’hui dans les catalogues comme ayant été obtenues par la Roseraie de l’Haÿ, on peut citer : Amélie Gravereaux (1901), Daniel Lesueur (1909), Madame Ancelot (1901), Madame Ballu (1905), Madame Henri Gravereaux (1904), Madame Julien Potin (1912), Madame Laborie (1908), Madame Lucien Villeminot (1904), Madame René Gravereaux (1907), Madame Tiret (1907), Madame Fillot (1907), Rose à parfum de l’Haÿ (1901), qui sont des hybrides du Rosa Rugosa. Puis : Madame Pierre Laffitte (1907), qui est un Bengale sarmenteux; Les Rosati et Madame Ruau, du groupe des X Pernetiana. Enfin Madame Poincaré, Hybride de Thé, qui a obtenu la médaille d’or de Bagatelle en 1915.

La Ville de Paris doit à M. Jules Gravereaux le don de la collection de Roses avec laquelle M. Forestier a constitué la Roseraie de Bagatelle, qui fait l’admiration de ses visiteurs et où se tient, chaque année, le concours international de roses nouvelles, institué sous les auspices du Conseil municipal.

C’est à lui aussi qu’est due la reconstitution presque totale, à la Malmaison, de la collection de Roses qu’y avait réunie l’impératrice Joséphine et qu’illustra Redouté, le célèbre peintre de fleurs, Roses aujourd’hui presque entièrement disparues de nos jardins, où elles ont été supplantées par de nouvelles venues plus perfectionnées, mais que, par un poétique et délicat sentiment, on a voulu faire revivre dans le milieu où elles furent entourées de tant de gracieuse sollicitude. Cette collection comprenait 250 espèces dont 198 ont été retrouvées. M. Gravereaux en a donné la liste dans sa brochure : Les Roses de l’impératrice Joséphine, publiée en 1912 avec préface de M. Frédéric Masson, de l’Académie française.

1916-07 S.N.H.F - photo_wpM. Jules Gravereaux avait été nommé membre de notre Société en 1896. Il était président d’honneur de la Section des Roses depuis l’année 1907 et prenait une part active à ses travaux.

En mai 1910, il fit figurer à l’Exposition internationale d’Horticulture, au Cours-la-Reine, une exposition rétrospective de la Rose montrant la filiation des principales variétés horticoles avec les espèces botaniques ancestrales, leçon de choses des plus instructives, qui eut un grand succès et dont le souvenir sera conservé par le compte rendu inséré dans le Journal de notre Société, année 1910, p. 468, et par la brochure : Exposition rétrospective de la Rose, publiée à cette occasion.

M. Jules Gravereaux participa aussi, de manière importante, à la publication de l’ouvrage Les plus belles Roses au début du XXe siècle que fit paraître notre Société, en 1912.

On peut dire que la Roseraie de l’Haÿ a donné une impulsion nouvelle à l’utilisation de la Rose dans les jardins. Largement ouverte au public, elle a été un exemple à suivre et qui a été suivi au grand profit de l’Horticulture. On trouvera, dans le Journal de notre Société, années 1903, pp. 654 et 656 et 1915, p. 24, des comptes rendus de visites qu’y ont faites nos collègues et dans lesquels est exprimée leur admiration pour cette œuvre de beauté.

M. Jules Gravereaux stimula, à diverses reprises, l’action de notre Société. Il fonda, en 1912, le Prix de la Roseraie de l’Haÿ (objet d’art) destiné à récompenser l’obtenteur de la plus belle Rose non encore en commerce; puis, en-1913, un prix spécial, pour l’auteur de la plus belle présentation de Rosiers sarmenteux cultivés en pots.

Enfin, peu de temps avant sa mort, alors que notre Société préparait l’Exposition de juin 1916 au profit des œuvres de guerre, il offrait à titre gracieux, au Comité organisateur, de nombreux flacons d’eau de Roses dont la vente a grossi sensiblement la somme réalisée en faveur de ceux qui souffrent pour le salut de la Patrie.

Le souvenir de M. Jules Gravereaux vivra dans notre Société. Souhaitons que d’autres initiatives généreuses s’exercent encore pour le bien et le bon renom de la France.