La rose «Madame Raymond Poincaré»

L’Association des Amis du Vieux L’Haÿ a présenté,
dans son numéro de juin 2014,

un article que nous reproduisons ici.

1913-1914 – Au nom de la rose

par Jean-Luc Marret.

Créée par Édouard André en 1899, la roseraie de L’Haÿ connaîtra son apogée dans les années 1910. La création du Théâtre de la Rose en 1906 ainsi que les derniers aménagements faits sous la supervision d’Henri Gravereaux, le fils aîné de Jules Gravereaux, en 1910 ont donné à cette roseraie son aspect quasi définitif, à fort peu de choses près, celui que l’on connaît actuellement; plus de 8 000 variétés de rosiers y sont cultivées – dont une centaine obtenues par Jules Gravereaux lui-même – et elle a une renommée internationale. Les spécialistes de la rose en font un lieu de voyage privilégié et Jules Gravereaux met son théâtre à la disposition de grandes associations parisiennes pour leurs activités de prestige; le Tout-Paris s’y retrouve à la saison des roses…

Rose Madame Raymond Poincare RdVM_4-3_wpUn jour du printemps 1913, Jules Gravereaux travaille à ses hybridations et constate qu’il a réussi à obtenir une magnifique rose. Il sort de son laboratoire, tout fier, aperçoit une jolie femme se promenant seule dans les allées et l’interpelle :

[1]

1913-06 Les Modes_wp

–  Madame, veuillez m’excuser, mais voudriez-vous être la marraine de cette rose?

–  Bien volontiers, cher monsieur, lui répond-elle.

–  Puis-je savoir votre nom?

–  Madame Raymond Poincaré… pour vous servir!

[2]

Hubert Gravereaux, poète et petit-fils de Jules Gravereaux, a souvent relaté cette anecdote, mais il ne faisait alors que répéter ce qui se racontait dans la famille Gravereaux depuis de nombreuses années[3]. L’histoire est d’autant plus plausible que madame Raymond Poincaré était en effet une fervente admiratrice des roses, comme les évènements l’ont ensuite montré.

L’arrivée de cette rose a d’ailleurs été annoncée dans plusieurs journaux et revues :

  • « […] des rosomanes fervents travaillent, et je crois pouvoir dire que nous aurons bientôt la rose Madame Raymond Poincaré. » [4]
  • « Les variétés de la saison dernière sont particulièrement réussies. Il fallait choisir la plus belle de ces jeunes roses. Et, parait-il, ce ne fut pas chose aisée. Cependant, une d’elles l’a définitivement emporté sur ses rivales. Cette rose élue entre toutes portera le nom de Rose Madame Raymond Poincaré. Sous quel aspect va-t-elle nous apparaître? Sous quelle nuance? Dans quelle splendeur lourde ou quel chiffonnement léger? Avec quel parfum? La prochaine exposition des roses de Bagatelle nous dévoilera ce joli mystère. » [5]
  • La Rose de Madame Raymond Poincaré. Tel est le nom exact de la superbe nouveauté dont nous donnons une reproduction en couleurs dans ce numéro. Elle a été obtenue par M. J. Gravereaux à la Roseraie de L’Hay. C’est un hybride de thé, issu de Madame Mélanie Soupert x Prince de Bulgarie. Il nous est impossible, sous peine d’indiscrétion, de dire aujourd’hui un mot de plus de cette rose appelée à un grand succès et dont nous reparlerons. » [6]

C’est donc en 1914 que cette rose est apparue officiellement et elle a été alors baptisée dans la roseraie de L’Haÿ. Christian Gaudemer, jardinier à la roseraie en 1938-39 écrit[7] :

« Mon chef, Monsieur David, qui était à la roseraie du vivant de Monsieur Jules Gravereaux a souvent évoqué le temps des fêtes et des réceptions fastueuses qui voyaient se produire au théâtre de verdure les plus grandes dames que le théâtre de l’époque comptait dans ses rangs. Ceci, devant une assistance où le commun des mortels n’avait pas sa place.

Gravure Rose Madame Raymond Poincare_wpMonsieur David m’avait donné quelques exemplaires d’une gravure représentant “La rose de Madame Raymond Poincaré”. Ces gravures, dont il restait peut-être vingt kilos à jeter, avaient à l’époque été distribuées lors d’une fête donnée à l’occasion du baptême de cette nouvelle variété et un bouquet de celle-ci avait été remis à l’épouse du grand homme d’État. »

Cette gravure illustre la page couverture du présent bulletin. Mais elle n1912-06-08 - Fête de la Société des grandes auditions musicales’avait pas été vraiment créée pour ce baptême et probablement pas à l’attention de Madame Raymond Poincaré… En effet, elle apparaît sur la page couverture du programme de la Fête des Roses qui a eu lieu le 8 juin 1912.

La Société des grandes auditions musicales de France avait organisé ce jour-là une audition unique au cours de laquelle les sociétaires pouvaient entendre, en grande première française, une composition de Robert Schumann, La Vie d’une Rose. Et l’affiche est exceptionnelle; non seulement c’est une grande chanteuse, Félia Litvinne, de l’Opéra de Paris qui en est la principale interprète, mais, en première partie, des sociétaires de la Comédie-Française, Cécile Sorel et Louise Sylvain récitent des poèmes… Le spectacle fut rapporté dans plusieurs journaux[8], certains de ceux-ci y ajoutant la liste de nombreuses personnalités présentes.

Quoi qu’il en soit, Madame Raymond Poincaré maintient, lorsqu’elle est la première dame de France, son intérêt pour les jardins[9] et sa passion pour les roses. Elle sera d’ailleurs à l’origine de la création de la Roseraie de l’Élysée… par Jules Gravereaux, en 1914! Raymond Poincaré, dans ses mémoires, le reconnaîtra :

« Le miracle du jardin, c’est la roseraie, installée il y a trois ans par M. Gravereaux à la demande de Mme Poincaré, et qui fleurit sous les fenêtres du palais. Les rosiers grimpants habillent les réverbères, recouvrent les vieux troncs d’arbres de housses fleuries, festonnent et enguirlandent les espaliers! La roseraie comprend deux parties, l’une rectangulaire qui s’encadre entre le bâtiment principal et l’aile où se trouve mon cabinet, l’autre, circulaire, qui s’adosse aux premiers massifs du jardin. De sorte qu’un joli coin de parterre à la française forme comme un vestibule de style classique à l’entrée du grand parc anglais et romantique qui s’étend par-derrière. »[10]

Mais les présidents qui se succédèrent ne porteront pas le même intérêt à cette roseraie; par moments amputée, à d’autres, réinstallée (comme à l’époque de René Coty), ses dernières traces disparurent finalement sous la présidence de Georges Pompidou.

L’on pourrait donc dire que 1914 marque en même temps l’apparition officielle de la rose Madame Raymond Poincaré et celle de la Roseraie du Palais de L’Élysée. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que ce soit le même président Raymond Poincaré qui signe, le 10 mai 1914, le Décret autorisant la commune de L’Hay (Seine) à porter à l’avenir le nom de L’Hay-les-Roses[11].

Roses de Malmaison - p05b_wp

 

 

[1] Site de la Roseraie du Val-de-Marne.

[2] Portrait de Madame Raymond Poincaré (partie) par Georges Bertrand. Les Modes no 150, juin 1913.

[3] Le journal Le Cri de Paris mentionne cette histoire dans son édition du 15 août 1915.

[4]. Jean Rameau. Le Figaro, 16 juin 1913.

[5] La Renaissance politique, littéraire et artistique, 15 novembre 1913, p. 14.

[6] Cochet-Cochet. Journal des Roses, juin 1914

[7] Lettre de Christian Gaudemer à madame Renée Limeul, Service Informations de la ville de L’Haÿ-les-Roses, 25 mai 1983. Copie de celle-ci et de la gravure : Archives des Amis du Vieux L’Haÿ.

[8] Parmi lesquels Le Figaro, Le Gaulois et Le Miroir du 9 juin 1912.

[9] Madame Raymond Poincaré faisait partie du bureau de direction de la Société des amateurs de jardins, association créée pour la renaissance de l’art des jardins. Après elle, les femmes de plusieurs présidents de la République en feront autant.

[10] Raymond Poincaré. Au service de la France – neuf années de souvenirs – L’année trouble, 1917, p. 175.

[11] Décret no 7021.