Mesdames,
Je n’ignore pas qu’il est d’usage d’ajouter : « et Messieurs », quand on s’adresse à un auditoire composé de Fils d’Adam et Filles d’Eve; mais les premiers; j’en suis sûr, ne m’en voudront point de les passer sous silence, aujourd’hui, un jour férié, au cours duquel il ne sera parlé que des femmes et que des roses.
Si le Bon Dieu avait ressemblé à Monsieur Gravereaux, (ce que je suis parfois enclin à croire quand je parcours un tel paradis terrestre, il est probable que le serpent aurait revêtu la forme de cette charmante cravate féminine que l’on appelle un boa, et que ce constrictor de toilette, à notre première mère, non point la pomme biblique et traditionnelle dont les quartiers, éternellement renouvelés comme ceux de la lune, ont pour pépins, le bien et le mal; donc pas une pomme, mais une Rose, cette Rose dont je vais essayer de vous parler et qui, distille tant d’ivresse tant d’extase, que rien qu’à me les remémorer, je sens mon courage fléchir, mon cœur se fendre, ma vertu succomber et ma voix s’éteindre.
J’ai quelquefois abordé de grands sujets : ils ont laissé à mon esprit, une trace lumineuse, comme celle qui demeure aux doigts ayant saisi un papillon, aux narines effleurant un lis. Mais la Rose, Mesdames, la Rose votre sœur, et votre rivale, votre personnification et votre ennemie, quels mots élire pour l’enguirlander, quels accents, pour la célébrer, quelles imprécations, pour la maudire?
Habemus confitentem ream !
La coupable, nous l’avons ici, la coupable et la glorieuse. Elle s’élève des parterres comme une fumée aromatique, elle s’enroule aux arbres et aux colonnes, telle qu’un réseau de coloris et de dictames, elle pleut des branches et des chapiteaux, ainsi qu’une averse de flocons ardents ou candides, qui sont les boules de neige ou de pourpre d’un jeu enchanté à la fois hivernal et printanier prêt à vous bombarder avec de l’encens et à vous lapider avec des fleurs.
Ah! Mesdames, je vous l’avoue (et j’aime à croire que vous me saurez gré d’une telle ambition.) Ce sujet, bien des fois j’ai désiré l’aborder, en faire le tour, l’enserrer, l’étreindre, pour en exprimer la grâce, et en faire jaillir la douceur. Mais quels risques et quels périls!
Je ne parle pas des épines! Celle-là ce sont les pointes du martinet qui ne fait qu’exaspérer les postulants dans leur ardeur de poursuivre. Mais les suavités, quel écueil! Eviter l’écœurement, craindre le tendre, échapper aux fadeurs.
Cependant, une palme était là, bien faite pour séduire, cette palme qui se marie aux rosiers, sur les stèles funéraires; l’honneur d’avoir uni sol faible voix à celle d’Anacréon, et à celle d’Horace à celle de d’Aubigné, et à celle de Ronsard, à celle de Malherbe et à celle d’Ausone, à celle de Hugo et à celle de Gautier, à celle de Desbordes-Valmore et à celle de Leconte de Lisle, à toutes les voix qui se sont élevées dans le passé, pour chanter la gloire de la flore femme, dont le cœur s’ouvre comme une blessure, sourit comme une bouche, et laisse tomber une perle de rosée, pour nous rappeler que la douleur est près de la joie, et que l’amertume nait de l’amour.
À cette palme, s’ajoutait une parole, celle d’un de nos Maîtres qui, lui aussi fut un rosiériste fameux, mais le rosiériste des plants obscurs, j’ai nommé Charles Baudelaire, cette parole était celle-ci : « beauté du lieu commun. » Autant dire : « gardez-vous de négliger, sous prétexte de raffinement et de rareté, les platebandes habituelles, où la profusion nargue le nombre où la splendeur défie l’éclipse, où l’enivrement se rit de l’extrait.
Cette palme, mesdames, j’ai voulu la cueillir, cette parole, j’ai osé l’entendre. Et si je me pique un peu les doigts en vous apportant la première, et en vous rapportant la seconde, cela voudra dire qu’à l’une et à l’autre, se mêlait un peu de la fleur exquise et féroce, laquelle commence par se défendre comme tout ce qui vaut la peine d’être conquis.
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Parmi les innombrables similitudes, inspirées aux poètes, par les rosiers, il en est une qui me plaît, entre toutes; je veux dire celle qui s’adressant à la Rose la nomme avec magnificence en même temps qu’avec humilité « œil de la Terre ».
Maintenant, s’agit-il d’un œil qui regarde, ou d’un œil que l’on voit, qui se contente de briller et de se faire admirer, comme celui qui multiplie sur la traîne de l’oiseau de Junon, des prunelles de flammes et de pierres?
Il penche pour cet avis puisqu’elle nous éblouit déjà, rien qu’à nous représenter les jardins, tels que des paons gigantesques et végétaux, occupés à épanouir, au-dessous des cieux les éventails non plus de leurs plumages, mais de leurs feuillages, scellés des mille variétés de la triomphale rosacée.
Néanmoins, il est une comparaison qui me séduit encore davantage, celle qui trouve, pour la fleur de Cypris, cette lumineuse désignation : Astre des Plantes. Que vous semblerait d’unir ces deux vocables, et de les mélanger, afin d’en extraire une appellation encore plus apte à fournir de beaux concepts, et à évoquer un vis-à-vis d’une incommensurable grandeur? Je veux dire celui qui, après avoir imaginé, pour la rose, cette formule : Etoile de la Terre, mettrait en présence le ciel criblé d’astres, occupé à faire la roue avec des constellations et des planètes, et le sol, désireux de lui rendre la pareille; au moyen de ses floraisons et de ses plantes, en donnant à se pavaner, le firmament d’azur, le parterre d’émeraude, appliqué, lui aussi, à lisser ses plumes et à les dresser, pour faire la roue avec des roses.
Tenons-nous en donc à cette dénomination, puisqu’elle satisfait, à la fois notre pitié pour l’éphémère et notre passion de la superbe, et regardons se lever notre étoile mortelle et voyageuse, non moins qu’embaumée et peinte, en cela, un peu pareille à celle qui montrait la route aux patres et aux rois, durant notre grande nuit chrétienne.
Gardez-vous bien de voir une impiété, dans ce rapprochement. Rien n’empêche de se convertir; nous en voyons des exemples fameux.
Il n’est nullement interdit de changer de religion, même quand on est une fleur. Cette profession de foi de la Rose, née de l’écume même que venait de déferler la Reine des amours, nous la revoyons aujourd’hui devenue virginale, et décorer de ces pétales pâlis, qu’effleurent les deux pans réguliers d’une ceinture d’un ton céleste, les pieds nus et réunis de la Reine des Saintes et des Saints de la Madone Pyrénéenne.
Soyons les mages de l’Etoile-Fleur; regardons la se lever et s’accroitre, suivons la route qu’elle nous enseigne, sûrs de ne point errer en obéissant à ce qui remonte, ne s’éteint que pour se rallumer, et ne s’effeuille, que pour refleurir!
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Regardons-la se lever sur l’Orient, l’Etoile de la rose. Ce n’est pas du côté de l’Inde, qu’elle nous apparaît d’abord, ni même du côté de l’Egypte, où nous ne la retrouverons que plus tard, un jour de fête, quand la grande Cléopâtre fera joncher de pétales un pavé de Palais, pour environ six mille de nos francs, jusqu’à la hauteur d’une coudée. Non, ce sera du côté de la Perse, d’où la Fleur-Flamme passe en Grèce.
C’est là que, pour la première fois, Homère nous parle d’elle, sous forme d’une huile, dont Vénus baigne la dépouille d’Hector. À sa suite, d’autres poètes, Hérode, puis Ovide nous montrent Proserpine, en train de cueillir des roses, quand Pluton l’enlève.
Et c’est penchée sur une pareille récolte que Moschus nous dépeint Europe, quand Jupiter la choisit. Comme la découpure dorée et primitive de nos Crèches de Décembre, elle a d’abord cinq branches, notre Etoile. Comme le timide églantier qui lui sert d’origine, elle a d’abord cinq pétales, notre Fleur. Puis, ces derniers, elle les porte à douze, à soixante, à cent. Et c’est la rose de Piérie, que Sapho chante. La rose de Philippes, ou de Cyrène, que Théophraste vante, la rose de Phasélis, ou celle de Nicée que décrit Nicandre; celle de Poestum, chère à Virgile et à Columelle; celles de Brachine de Préneste et de Carthagène, dont Pline a parlé.
Celle de la Cyrénaïque, les habitants allaient la cueillir sur le mont Pangée. Il y avait encore celles de Samos, qui fleurissaient, deux fois par année; celles de Rhodes, qui donnaient leur nom à cette ville; celles de Lydie, celles d’Emathie, celles de Nisée, celles de Phasélis et celles de Milet, celles de Loire et celles de Malte, celles de Tusculum et celles de Tibur.
Habitués et habiles à chanter leur gloire, dans l’antiquité Grecque et Latine, dont nous mélangeons, à dessein, les dires et les dates, nous retrouvons aussi Hérodote et Plutarque, et Aristophane et Archiloque, Diodore Celse Stace et Dioscoride, Suédone Lucien Claudien et Martial.
Puis ce furent tous, les illustres et de moins célèbres, ceux que nous avons cités, et les autres : Pindare, Lucrèce, Apulée, Catulle Tibulle et Properce dont les noms et quelquefois les ouvrages nous sont familiers. Alcée, Simonide, Bion, Musée, Méeléagre, Pancrate, Philostrate, Pausanias, Reposianus, Florus, Achille Tatius Silino Malicus, Alciphron, Straton, Clitophon de Leucippe, que, ceux-là, nous connaissons plus imparfaitement. Pétrone, lui aussi, qui ne pouvait manquer, dans ce conciliabule et à ce Concert.
Tous, luttant de grâces prosodiques, natives ou affectées, pour exalter un teint de rose, des lèvres de roses, des doigts et des bras de roses, et généralement tous ceux des attraits de leurs Belles dont les colorations peuvent s’assortir aux laques et aux carmins de notre étoile florale.
Elle n’en a cure, et suit son cours.
Mais ces amaranthes et ces incarnats ne sont pas seulement chargés de nous donner le ton des chairs de la femme; ils deviennent aussi l’emblème du crin des coursiers, de la chevelure de l’Aurore, du lien des rênes, de l’essieu des chars.
Et l’Etoile-Fleur poursuit sa course odorante et adorée lumineuse et ornementale. Elle désigne des cités et des hommes, pare des coquettes, parfume des plats, guérit des malades, incommode des maniaques, se découpe sur des basiliques, se détache sur des monnaies, brode des étendards, désigne des pierreries, intitule des livres, contourne des missels, peuple des tableaux, pullule au long des objets.
Pline le naturaliste nous la montre aux mains de la bouquetière Glycère, qui excelle à la mélanger aux couronnes. Saadi, Hafir et Ferdousi, dans leurs voluptueux ghazels, font se pâmer près de son cœur, leur bulbul, notre rossignol, dont les trilles s’égrènent avec les pleurs de la nuit, et qui leur sert à transposer leur plainte, devant l’indifférence de leur Amie.
Fortunat et Grégoire de Tours nous représentent la veuve de Childebert, la Reine Ultrogothe cultivant, dans les jardins de Saint Germain des Prés, d’innombrables Roses, dont les noms restent inconnus, mais dont les aromes demeurent renommés, au point de mériter l’épithète de « paradisiaques », sous la plume de ces chroniqueurs.
Et cependant, les pleurs de la nuit, ce n’était point assez pour asperger notre plante païenne. Il y fallait des ondes autrement lustrales, celles même des baptistères, née de douze siècles avant l’ère chrétienne, partie du front de Thalie et de Polymnie, d’Hébé ou de Ganymède, il lui fallait avant de rejoindre les pieds de la Madone et de s’élever jusqu’à ses tempes subir la froideur des Pères, le dédain des prêtres, le mépris des docteurs, rencontrer la malédiction, essuyer l’interdiction, entendre Tertullien, Clément d’Alexandrie et Prudence, la bannir des couronnes, et féliciter les Saintes qui refusaient d’en savoir le nom.
Mais un tel excès se devait restreindre. Comment priver un culte nouveau, d’une telle décoration et d’une telle offrande, et ne valait-il pas mieux, telle qu’une reine subjuguée, à un char victorieux, attacher, aux autels rajeunis, la Rose enchaînée?
Il en fut ainsi. Dès lors, ce ne sont plus que roses, dans les vallons et sur les sommets de notre christianisme. Elles fleurissent aux mains des apparitions, tombent des doigts des anges, bravent les hivers, sur des tombeaux, et jusque sur les lèvres des trépassés. Et c’est, entre beaucoup d’autres, une rose à la main, que se montrent à nous, dans le jardin des miracles, Sainte Dorothée, Saint Cécile, Sainte Rose de Lima, Saint-Lucien, Saint Lucius, saint Louis de Toulouse, Saint Antoine de Stronconio, Saint Julien de Vienne, Saint Agnès de Monte-Pulciano, Saint Jacques de Venise, Ada la Pieuse, Saint Jena l’Ange, Sainte Cassida de Tolède, Sainte Rose de Viterbe, Saint Elisabeth de Portugal, Sainte Roseline de Villeneuve, Saint Pierre Régalât, Saint François d’Assise, Sainte Hélène, enfin!
Quant à Saint Dominique, c’est, on le sait des mains mêmes de la Vierge Sainte, qu’il reçoit le Rosaire, dont les mystères joyeux, glorieux et douloureux, sont figurés par des roses aux tons d’aurore, de safran et de pourpre.
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Mais c’en est fait de ces guerres de religion, entre calices et corolles. Ce ne sont plus les sanctuaires qu’elle paraît, qui nous trouvent aujourd’hui rassemblés ou divisés, c’est la Rose elle-même que nous divinisons sur son autel propre, dans le temple qui lui appartient, et les pétales de la Rose Sainte, retrouvés dans les sarcophages Egyptiens, ne nous semblent pas moins adorables que ceux recueillis, de nos jours, au bord du Saint Sépulcre pour en pétrir des chapelets, couleur de corail, dont les grains embaument.
Et dans les diverses chapelles de cette métropole du treillage, de ce Saint des Saints du végétal, nous ne nous laissons point d’admirer, d’implorer non plus cette fois, les neuf chœurs des anges, mais les chœurs répétés bien des fois neuf fois, de la « Fleur des Fleurs ».
Rosiers parfaits, ou imparfaits, rosiers nus ou rosiers vêtus, rosiers armés, ou désarmés, leur « aire de dispersion »comme dit un terme technique, bien trouvé, est étendue ou restreinte. Tel ne se trouve plus que dans l’Ile de Yéso, en Extrême-Orient, tel autre que chez les Elamites. Tous les déguisements leur sont loisibles, comme au grapillon.
Tantôt ils arborent la couleur de la jonquille, et certains orientaux vont jusqu’à dire, celle du bluet; tantôt ils exhalent l’odeur du camphre ou celle du musc, celle de la pomme, ou celle du thé. Leur fleur est parfois celle de l’anémone; et leur feuillage parfois, celui de la pimprenelle.*
Voici maintenant les roses historiques celle d’Amicia Juliana, celle de Charlemagne, celles qu’un fait ou, une légende attribue à des noms consacrés; celle de Louis le Débonnaire, celle de Thibaut de Champagne, celle d’Albert le Grand, celle dont Saint François se frappait les flancs, celle dont la Reine vierge composait des fards. Et celles, plus récents dont on nous authentique les croisements, sur la piste des jardins comme on fait, des coursiers fameux, dans les haras et les hippodromes.
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On nous affirme que les osmanlis professent, pour la Rose, un tel respect, qu’ils ne peuvent souffrir d’en voir les pétales, dispersés à terre; ils les récoltent pieusement pour les déposer, en un lieu, qui leur assure de finir, sans souillure et leur permette de mériter, jusqu’au bout la plus émouvante d’entre toutes les louanges qu’Anacréon décerna à la noble fleur « vieille, elle garde encor, l’odeur de jeunesse. »
Il nous arrive d’en agir de même à l’égard du pain, et de trouver coupable de voir jeter ce qui nourrit, ce qui fortifie.
Ce qui réjouit et ce qui parfume n’est pas moins vénérable. Respectons la Rose. Elle y a droit. Mais où nous mène-t-elle, après tant de voyages, notre Etoile-Fleur? Aurons-nous à nous repentir de l’avoir suivie, l’errante odorante, sous tant de toilettes et tant de cilices, tant de climats et tant de noms? Or voici qu’elle s’arrête, et je me sens inquiet; de quel seuil aura-t-elle fait choix, pour reposer sa tête lasse? Mais voici qu’elle se fixe, et je me sens rassuré, que dis-je attendri, quand la salle du festin, la chambre plutôt que nuptiale, ou même le parvis du temple, je la vois élire la dalle du tombeau, pour honorer ceux qu’elle recouvre, et consoler ceux qui leur restent fidèles.
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La Comtesse Greffulhe est une fée, nul n’en ignore : la Fée Elisabeth; un nom qui explique tout, même ce qui se passe ici, puisqu’il dit, ce nom, que la fée a pour patronne, une sainte, et une sainte, et une sainte dont le vocable joue un rôle prépondérant dans l’histoire de notre Fleur.
Vous connaissez cette légende mystique et séduisante : une Reine Hongroise, ornée elle-même de ce beau titre, au cours d’une tournée d’aumônes, qui lui fait cacher dans les plis de sa robe, du pain et des fruits, destinés aux miséreux, et jusqu’à des victuailles. Cette Princesse rencontre un époux infidèle et irrité, qui exige de savoir ce qui s’abrite sous le manteau, et peut-être va sévir, s’il s’agit encore de ces secours clandestins, de ces charités jugées excessives. Elisabeth de Hongrie ne sais pas mentir, elle risque le châtiment pour l’ordre transgressé, elle entr’ouvre sont manteau : et parce que Dieu veut récompenser la grâce et la vertu de cette royale chrétienne, il change en roses les aliments, et en actions de grâces, la colère.
Je ne pense pas que notre Elisabeth de Seine-et-Marne, risque de rencontrer, un époux irrité quand, sur les chemins de Boisboudran, (où sa libéralité doit d’ailleurs les rendre rares) elle porte aux indigents ses dons charitables. Il n’en est pas moins vrai que nous avons trouvé toutes les roses de Monsieur Gravereaux, dans la manche de Madame Greffulhe.
Mais, il y en avait d’autres, et bien notamment, cette Rose de Schumann, dont vous allez entendre chanter, et de quelle façon, la vie harmonieuse.
Que Madame Litvinne soit un magnifique Paul Néron, qui songerait à le contester?
Madame de Sévigné écrit, dans une de ses lettres (je ne sais plus à propos de quelle fantaisie épistolaire) : « Ah! La jolie chose qu’une feuille qui chante. » Qu’aurait dit la prolixe Marquise si cette feuille sonore, était devenue un pétale harmonieux, comme il ne va pas tarder d’en advenir?
Elle aurait dit qu’il est naturel que les fées rencontrent des magiciens, et qu’il en résulte de magnifiques sortilèges.
Le magicien rencontré par la fée, ce fut cette fois, notre hôte d’un jour. Et quel magicien!
L’antiquité nous rapporte que Denys le Jeune fit joncher avec des roses, le dallage de son Palais de Loire et s’étendit au beau milieu.
Elius Verus, au dire de Spartien, faisait de même, n’oublions pas que Monsieur de Lamartine en agit un jour, ainsi à l’égard de jacinthes.
Cicéron affirme, que le printemps, ne datait pas du retour des zéphyrs, ou de l’entrée du soleil dans tel ou tel signe; non le préteur n’admettait qu’en « hiver eût pris fin », que lorsqu’il avait vu des roses. « Alors, dit l’orateur, il se mettait en marche.
À l’exemple des anciens Rois de Bithynie, mollement étendu dans une litière à huit porteurs, il s’appuyait sur un coussin d’étoffe transparente et tout rempli de roses de Malte. Une couronne de roses ceignait sa tête, une guirlande serpentait autour de son cou; il tenait à la main un réseau de tissu le plus fin, à mailles serrées et plein de roses, dont il respirait le parfum.
L’empereur Romain, Carinus, « ne prenait les repas que sur des lits, garnis de roses de Milan », et le premier Gallien « faisait construire au printemps, des chambres à coucher, avec des roses. »
M’est avis que notre hôte, dans son particulier, pourrait bien se comporter comme ces hommes, délicats et illustres. S’il en est ainsi, je le félicite et je l’envie. Mais cela, c’est pour son plaisir. Voyez ce qu’il a fait pour le nôtre.
Rabelais avait rapporté, d’Italie, dans ses poches profondes, des graines d’œillets, et nous devons à Peirex, de nous avoir dotés du laurier Rose. Monsieur Gravereaux a fait mieux il est devenu l’astronome sans, rival de celle que nous avons nommée : l’Etoile de la Terre au point de pouvoir nous annoncer à une minute près, l’apparition sur le méridien de l’Haÿ, de cette Rose de Pennsylvanie qui s’épanouit le 8 juin, et autour de laquelle nous voilà pieusement réunis, comme les mages autour de l’Etoile.
Hugo admire, dans un grandiose poème qu’un de ces hommes que j’appellerais volontiers les Confesseurs du Ciel, puisse prédire, pour un moment précis, le retour d’un astre, après de longues années. Je n’admire pas moins, je l’avoue, l’indéfectible vigilance du prêtre des platebandes,
De l’impeccable vigie, écoutant avec assez de sang-froid bouillonner sourdement, les invisibles sèves, pour nous crier : « Rose! Rose! » Comme autrefois, à l’aspect d’un continent nouveau, l’on s’exclamait : « Terre! Terre! ..
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De la rencontre d’un tel magicien avec une telle fée, devait résulter le lever d’un astre nouveau, (du moins sur notre horizon, le programme fait cette réserve; cet astre parfumé et sonore, c’est je vous l’ai dit, la Rose de Schumann.
Il ne m’appartient pas de vous en décrire les spécifiques beautés. De mieux qualifiés vous les commenteront demain. Je ne veux, pour mon compte, que vous dire deux ou trois mots, du poème romanesque, naïf et agréable.
Une Rose, (non seulement du temps que les roses parlaient, mais du temps qu’elles vocalisaient comme vous allez entendre) une Rose, dis-je, dans un vallon aux brises tièdes, au décor printanier, où les elfes et les sylphides s’ébattent, une Rose nait à la vie; mais son éphémère destin l’afflige, elle souhaite devenir une femme, afin d’aimer avant de mourir. Son vœu s’accomplit. La voilà transformée en une jeune fille pauvre, qui demande asile d’abord sans l’obtenir, puisque tout de même recueille un vieillard, celui qui vient d’ensevelir l’enfant unique d’un ménage d’artisans, dont la fille a cessé de vivre. Rose, notre Rose, devient la servante de son hôte charitable et se concilie tous les cœurs, sans omettre ceux du ménage en deuil, qui va jusqu’à revoir en elle, la jeune morte ressuscitée.
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Et puisque nous sommes en veine de comparaisons, j’en veux faire une, que vous approuverez, j’en suis certain. J’évoquerai ces hommes d’outremer, ces princes métalliques, souverains du fer, du cuivre et de l’acier; je les évoquerai par leur donner, séance tenante, un rival qui, selon moi, est un vainqueur, lui, qui ne règne que par la beauté, la douceur et la grâce, notre hôte d’un jour, Monsieur Gravereaux, à propos duquel nul d’entre nous ne me contredira, si je l’appelle, ici, le Roi des Roses.
Quelle liste civile que celle d’un monarque dont le revenu annuel représente plusieurs millions de cette fleur, souvent embellie de s’appeler du nom de nos villes, que dis-je? de notre pays. Gloire de Dijon ou Rose de France!
Mais n’oublions pas que Rose a souhaité d’aimer avant de mourir. Aussi tout juste, à point nommé,
« Au fond des bois repose
Le fils du Forestier … »
Or les fils de forestiers qui reposent, au fond des bois, ne font jamais que semblant de dormir.
Max, il s’appelle Max, aime Rose et quand il a chanté, avec elle, je ne dirai pas l’inévitable duo, je dirai le duo attendu, le duo espéré, notre Rose-Femme n’a plus qu’à mourir, ce qu’elle fait harmonieusement et poétiquement, non sans avoir laissé au doux forestier, je veux le croire, inconsolable, un gage de sa tendresse, sur lequel désormais elle veillera du haut des cieux.
Tout cela vous le voyez et, je vous le répète, vous allez l’entendre, n’est qu’un prétexte à de mélodieuses variations, qui se multiplient autour du cœur de la rosacée musicale comme les pétales d’une Rose à cent feuilles.
Ces variations elles vont être précédées, aussitôt, (trop tard!) qu’aura expiré ma voix, qui, dans un instant va se taire, elles seront précédées par un quatuor charmants de Roses France : Mesdames Sorel, Sylvain, Maille et Thomsen qui viendront chanter la gloire de leur sœur en vers anciens ou plus récents, dus à ces rosiéristes que sont les poètes et à de ces morts qui sont immortels.
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Rose! Dont notre adolescence apprit à décliner le nom latin, sur les tristes bancs du collège; Rose, Rosa, de qui les deux syllabes mystérieuses, poétiques et imaginairement parfumées, faisaient pleuvoir, tels que deux langues de feu, tels que deux cœurs vivants et menus, faisaient pleurer deux pétales colorés et, (odorants, sur le bois noir du pupitre)
Rose! Je suis ici, devant vous, pareil à un mage reconnaissant, de vous avoir connue à son berceau, et de vous retrouver près des tombes.
Banville, un Poète français, si joliment français a conté une chose qui me revient, en ce jour faste. Il dit que le grand acteur Frédérick Lemaître, lorsque, dans un massif, il cueillait une Rose pour une femme, au lieu de regarder celle à qui son geste destinait le cadeau vivant naturel ensemble simple et fastueux, regardait la fleur, que dis-je? la contemplait avec une telle admiration, une telle adoration, une émotion si vive et si intense, que c’était centupler ainsi l’hommage et le présent destinés, par lui, à son Amie, c’était dire, en effet : « je vais vous offrir, Madame, tout ce que le Ciel et la Terre produisent de plus beau, pour consoler les pauvres humains de consumer leurs ans, dans cette vallée de larmes; une fleur, dont le parfum se peut comparer à une extase, et dont le rayonnement voluptueux fait penser à une étoile qui ne serait plus l’étoile du berger, mais l’étoile du jardinier, non moins amoureux que l’autre. Et si cette étoile contient un pleur, ce n’est pas toujours celui de la rosée, mais celui de cette rosée du cœur, laquelle vient s’y associer, et que filtrent les yeux, que distillent les regrets, et que les regards irisent.
Permettez-moi, mesdames, en finissant, d’en agir, aujourd’hui, comme ce grand artiste dramatique, dont je viens de vous parler et de m’agenouiller devant la Rose, puisque ce sera le plus sûr moyen de vous témoigner que, la juger digne d’un tel traitement, c’est prouver que mon meilleur dessein a été de vous offrir, ce qu’il y a de plus beau, sous le Soleil et sur la Terre!
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