La roseraie de L’Haÿ – un joyau de l’Île-de-France

1952 Lefrancois, Philippe - Petits joyaux c0_wp

Dans le livre qu’ils ont publié en 1952 – Petits musées et joyaux de l’Île-de-France -, Philippe Lefrançois et Patrice Boussel font une description particulièrement intéressante de la roseraie de L’Haÿ et du Musée de la Rose.

 

 

 

LA ROSERAIE ET LE MUSÉE DE LA ROSE À L’HAY-LES-ROSES

En printemps nouvellet,
Quand par boys ou champs passerés,
Dès que orrez le rossignolet,
Vos vigiles des mors dirés,
Et (que) jamais ne dormirés,
Soubs aubespins ou esglantiers,
Autre part tant que vous vouldrez,
Pourveu qu’il n’y ait des rosiers.

Ce poème de l’Amant rendu cordelier à l’observance d’amour défend ainsi de se reposer à l’ombre d’un rosier ou d’un églantier, ou même de prêter l’oreille au chant du rossignol. Dans le parc de Sceaux chantent encore des rossignols et à L’Hay-les-Roses existe la plus belle des roseraies, si belle que nul ne songerait à s’endormir à l’ombre d’un rosier.

Cet ensemble, unique au monde, créé en 1893 par M. Jules Gravereaux, se visite du dernier dimanche de mai au premier dimanche de juillet, de 10 à 18 heures. En cette période les roses sont dans leur éclat : 8.000 espèces de roses nous offrent une symphonie de couleurs qu’orchestre le soleil. C’est alors seulement que le public peut deviner quels soins assidus et permanents M. Batifol, ingénieur divisionnaire, chef de la division de Sceaux au Service des parcs, jardins et espaces verts du département de la Seine, M. Leroy, ingénieur divisionnaire des parcs, jardins et espaces verts du département de la Seine, inspecteur des roseraies du département, et enfin M. Godefroy, chef-jardinier, dont la main a une douceur maternelle pour saisir et présenter ses pupilles préférées, donnent à ce beau domaine.

À sa, création le jardin des Roses contenait seulement une centaine de variétés, mais M. Jules Gravereaux, l’un des fondateurs du « Bon Marché », séduit par leur grâce et dévoré par l’esprit du collectionneur, fit appel aux horticulteurs-rosiéristes pour augmenter leur nombre. En 1889, il était nécessaire de créer un jardin spécial que dessina l’architecte paysagiste Édouard André. D’étroites allées, bordées d’un ourlet de buis, rayonnent en lignes droites, avec plus de fantaisie qu’en un jardin anglais, autour d’un écusson central, où la ligne courbe est reine et qui enchâsse un gracieux plan d’eau. Un dôme de treillage assailli de roses grimpantes complète ce beau décor.

En 1900, le premier catalogue de la collection comprenait 3.000 variétés. Un voyage du fondateur en Serbie, en Bulgarie et en Asie Mineure, lui permit, l’année suivante, de publier un essai de classification portant sur 7.000 variétés. M. Gravereaux s’intéressa ensuite à l’histoire ancienne de la rose et le succès de sa collection devint tel que la commune de L’Hay obtint en 1910 de changer son nom pour celui de L’Hay-les-Roses. Après la mort de M. Gravereaux, en 1916, la roseraie fut conservée par sa veuve, puis par ses enfants, et, enfin, en 1937, le département de la Seine achetait le domaine, restaurait treillages et arceaux, aménageait de façon nouvelle la présentation et sauvait ce charmant décor dans lequel, il y a cinquante ans, Mlle Sandrini, de l’Opéra, dansait pour quelques privilégiés la Légende de la Rose, de Schumann.

1952 Lefrancois, Philippe - Petits joyaux_wpDans le premier département de la roseraie est retracée l’histoire vivante de la rose. La Rose des Mages fut, dit-on, confiée à la garde d’un ange. La rose n’était-elle pas, avec le lis, le principal ornement du paradis terrestre ? Adam et Ève se promenaient, selon Dracontius, au milieu de fleurs et de vastes bosquets de roses. Saturus a peint les martyrs réunis au Jardin céleste « sous un rosier et se nourrissant à satiété de parfums inénarrables ». Les mystiques du moyen-âge ont vu dans la rose le symbole du martyre, celui de la Vierge et celui, aussi, du médiateur de Dieu et des hommes. La première est rouge; la seconde, blanche; la troisième, rouge et blanche. La première naît des épines de la persécution et des hérétiques la seconde est sortie des épines de la perversion des Juifs la troisième est née sur la tige sortie de la racine de Jessé.

La Rose de Paestum fait chanter en nous les vers de Virgile. Dans la taverne de sa Cabaretière les roses placées à côté des coupes et des flûtes attirent les buveurs. Tous se couronneront de ces fleurs avant de se reposer à l’ombre des pampres. La Rose Bleue des Arabes, dans la lumière crue du soleil, semble violette. On tonnait la tradition selon laquelle la rose serait née de la, sueur du Prophète. L’histoire persane, contée par le poète Nachshebi, dans le Livre du Perroquet, est peut-être moins répandue. Un guerrier pauvre, marié à une jeune et jolie femme, hésitait à abandonner celle-ci pour aller chercher fortune. Elle réussit pourtant à le convaincre après lui avoir confié un bouquet de roses qui, disait-elle, ne se fanerait point tant que durerait sa fidélité. Le guerrier entra au service d’un seigneur voisin et ce dernier remarqua bien vite le bouquet toujours frais, même au milieu de l’hiver. Interrogé, le guerrier raconta son histoire, ce qui fit rire son maître. Le seigneur envoya secrètement un émissaire tenter de séduire la belle. Il échoua. Un second ne fut pas plus heureux. Alors le seigneur se rendit lui-même en compagnie de son guerrier dans la ville de l’heureux mortel et il put voir là les deux corrupteurs penauds, réduits en esclavage chez la belle. Il ne douta plus, après leur témoignage, de la vertu de celle qui savait empêcher les roses de mourir.

Le Pompon-de-Saint-François naquit du sol sur lequel se mortifiait, en plein hiver, le poverello. La Rose-d’York, blanche, et la Rose de Lancaster, rouge, plantées côte à côte, symbolisent le mariage qui mit un terme, à la fin du XVe siècle, aux luttes sanglantes pour la couronne des descendants des deux fils d’Édouard III, roi d’Angleterre.

Les Roses modernes, nées des amours de nos roses du terroir avec des beautés venues du Bengale, de Chine et du Japon, « éclatent, comme nous le dit M. Leroy, en débauches de fleurs éclatantes, mais souvent stériles. Ce sont des mondaines en riches toilettes colorées des reflets changeants de la mer de Corail ».

Dans la collection botanique sont réunis la plupart des types de roses sauvages venues de tous les coins du monde, depuis l’églantier des haies français jusqu’aux rosiers de Bulgarie, de Mandchourie ou du Kamtchatka.

La collection des roses galliques, les seules cultivées en France jusqu’au XVIIIe siècle, possède évidemment la Rose Cuisse de Nymphe émue, plus attirante pour son nom libertin que pour le modeste blanc rosé de sa parure.

La collection des roses de La Malmaison, reconstitution des variétés qui ornaient le jardin de l’impératrice, possède elle aussi des sujets aux noms attirants ou malicieux : Belle-AuroreCerisette-la-JolieNouveau-Petit-Serment… Notons que la rose nommée Empereur-Napoléon devint, après Waterloo, Folie-de-CorseSic-transit

Sur les roses d’Extrême-Orient veillent des monstres de porcelaine.

Voici enfin la collection horticole qui comprend plusieurs milliers de variétés de toutes les espèces buissonnantes ou sarmenteuses : la collection Roses de L’Hay, toutes obtenues à la roseraie par M. Gravereaux; la collection des Roses modernes obtenues au XXe siècle tant en France qu’à l’étranger, et enfin la Roseraie de Madame, où l’épouse de M. Gravereaux venait cueillir les fleurs destinées à décorer son intérieur et où l’on remarque une sélection de variétés, classées par couleurs. Dans l’écusson central se trouve la Roseraie décorative, jardin à la française dont la, décoration est uniquement composée de roses.

Face à cette dernière, dans un rustique pavillon bas, les collections réunies par M. Jules Gravereaux sont disposées dans le musée proprement dit. Un portrait du fondateur par Renoir préside dans la grande salle et le représente, avec moustache et favoris à la François-Joseph, dans le décor de sa roseraie en pleine floraison, avec au fond le jardinier classique, à tablier, sabots et grand chapeau de paille. Des gravures, des chromos-lithographies, des aquarelles et divers tableaux célèbrent la rose, reine du domaine. Quelques œuvres de Redouté, professeur de dessin de Marie-Antoinette, de Joséphine et de Marie-Louise, retiennent l’attention, ainsi que les portraits des roses primées à Bagatelle, de 1907 à nos jours, et l’aquarelle de Louise Abéma, la Reine des neiges.

Tout ce qui, dans l’activité humaine, a été inspiré par la rose se trouve évoqué dans les vitrines : des toiles de Joug et des papiers peints du début du XIXe siècle, des timbres français et étrangers, des reliures modernes, des roses artificielles en toute matière, en peau, en papier, en toile, en raphia, en dentelle, en velours, en mousseline, en celluloïd et même en… pelure intérieure d’œuf; de beaux étains du XVIIe frappés du cachet à la rose; des gravures de mode, des photographies de meubles ornés d’incrustations inspirées par les roses; des ornements d’église du XVIIIe siècle à la rose, des broderies chinoises et japonaises, etc.

Ensuite ce sont les plus anciennes figurations de la rose sous forme de reproductions : le fac-similé d’une miniature illustrant le Codex Constantinopolitanus conservé à la Bibliothèque de Vienne, illustre manuscrit exécuté au début du Vie siècle pour la princesse Julia Anicia, fille de l’empereur de Constantinople. Dans l’histoire du livre médical, c’est une des plus belles pièces que l’on connaisse et rarement les illustrateurs ont réussi une œuvre aussi délicate. Des fac-similés du bréviaire Grimani, d’un bréviaire de saint Louis, du livre d’heures du roi René et d’Anne de Bretagne, des photographies de fresques romaines découvertes à Sousse et à Pompéi, encadrent celui du Codex de Julia Anicia.

Des bronzes d’ameublement Louis XVI, Empire, Restauration, des médailles, des jetons, des monnaies montrent à quel point la rose inspira tous les artistes et tous les artisans. La médaille décernée en 1909 par les Rosati (qu’une autre vitrine évoque) porte la devise :Rosae poetarum deliciae.

Dans la petite salle qui fait suite, préside un tableau de Jacques Wagrez, le Miracle des roses d’Élisabeth de Hongrie, miracle ainsi rapporté par Montalembert : « La sainte, descendant un jour par un petit chemin très rude, portait dans les pans de son manteau des vivres pour les distribuer aux pauvres, lorsqu’elle se trouva tout à coup en présence de son mari. Étonné de la voir ainsi chargée, il ouvrit malgré elle le manteau qu’elle serrait tout effrayée contre sa poitrine, mais il n’y avait plus que des roses blanches et rouges. »

Dans plusieurs vitrines, nous découvrons le rôle tenu par la rose dans la pharmacopée ancienne et les propriétés médicinales ou magiques qu’on lui attribuait. Homère connaissait déjà l’huile de rose qui entrait dans la composition de certains cataplasmes; il en donne une recette. À cette époque le fruit du rosier était considéré comme diurétique, et la graine d’églantine, recommandée contre les morsures de serpents. Dioscoride prescrivait le vin rosat tant comme adjuvant de la digestion que pour combattre souverainement la dysenterie. Les pétales de roses desséchés et réduits en poudre constituaient un excellent désodorisant.

Au moyen âge, la rose n’est pas moins estimée par les thérapeutes. Les sirops à la rose des Arabes rafraîchissent les inflammations de la tête, calment la fièvre, modèrent les douleurs d’estomac, arrêtent les palpitations, fortifient les membres inférieurs. L’eau de rose arrêtait la dysenterie accompagnée de vomissements. Contre les douleurs de reins, on employait un emplâtre fait de pétales de rose pilés avec du blanc d’œuf et du vinaigre faible…

Toutes les vieilles pharmacopées contiennent la méthode à suivre pour fabriquer du miel et du sucre rosat, du sirop et de l’huile de rose, et aujourd’hui encore la, rose n’est pas tout à fait oubliée dans le programme des facultés de pharmacie.

Mais la rose n’était pas utilisée seulement par la pharmacie. La gastronomie utilisait également ses vertus : le miel rosat était prisé par les gourmets.

Au demeurant, de nos jours encore, les confiseurs de Provins en font d’excellentes « conserves » qui parfument délicieusement la bouche.

L’importance de la rose en parfumerie était certes l’une des préoccupations secrètes du fondateur de la roseraie qui rêva de concurrencer la production bulgare. De ces voyages d’étude dans le Proche-Orient, il avait rapporté un petit alambic destiné à distiller l’essence de rose. Désormais refroidi, il se trouve maintenant sous vitrine.

Après avoir admiré des ivoires finement décorés à la rose, on découvre l’extraordinaire arbre généalogique de la rose, ainsi qu’une mappemonde génétique de la rose tendant à prouver qu’elle est originaire de l’hémisphère nord exclusivement. La valeur pittoresque de ces documents est moins discutable que leur valeur scientifique.

À côté de la Rose du Désert, curieuse concrétion gypseuse en forme de rose provenant du Sahara, voici des mousselines, des dentelles tissées ou brodées de roses, des éventails peints ou incrustés, complices désuets des coquetteries de nos grand-mères. Ensuite, par un curieux rapprochement, la rose dans l’imagerie religieuse voisinant avec des ornements maçonniques décorés à la rose.

Enfin, non loin d’une importante bibliothèque de la rose dans la littérature, la musique et la chanson, voici une vitrine consacrée aux Rosati où l’on voit entre autres pièces, un médaillon à l’effigie de Robespierre qui fut membre de cette société et une rose de bronze, insigne de ses membres.

Le grand poète Gabriele d’Annunzio, visitant la roseraie de M. Gravereaux, disait un jour au créateur de cet ensemble unique, le félicitant de sa patience et de son amour pour la rose : « Comme je vous approuve. En amour, il faut de l’excès. »

Mais, devant tant de richesses assemblées pour le plaisir des yeux, comment se plaindre des « excès » du fondateur de la roseraie de L’Hay!