Le décès de Jules Gravereaux – dans la presse étrangère

Le décès de Jules Gravereaux a eu lieu en mars 1916, au milieu de la guerre 1914-1918. Ce qui n’a pas empêché plusieurs journaux français, mais aussi ailleurs, d’en faire mention, voire d’y consacrer de longs articles…

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Peut-on laisser partir sans un adieu Jules Gravereaux, qui était non seulement le premier rosiériste de France, mais sans conteste du monde entier. Il avait l’amour des roses et avait poussé le culte de la fleur sacrée à ses plus extrêmes limites. C’est lui qui avait créé, près Paris, cette roseraie de L’Hay, qu’on visitait comme une curiosité incomparable et qui était une sorte de temple élevé à la rose.

Sur un hectare merveilleusement distribué croissaient neuf mille qualités différentes de roses; au début du siècle dernier, les naturalistes en distinguaient une centaine à peine.

À L’Hay, tout cela était classé par sections, par espèces par groupes. Chaque rosier avait pour ainsi dire son état civil, contenant l’indication de sa formation, de ses croisements, de ses qualités et de ses défauts, de la couleur, de l’odeur de ses feuilles et de celle de ses fleurs.

Ce n’était pas suffisant; on suivait la rose depuis le semis jusqu’à son épanouissement, sur une espèce de théâtre qui terminait L’Hay et où des milliers de fleurs, présentées avec art dans des formes variées, formaient une admirable symphonie de tons et de couleurs.

À côté, une sorte de musée extraordinaire et d’une richesse incomparable forme une histoire de la rose comme on n’aurait jamais osé en concevoir l’existence. M. Jules Gravereaux avait réuni tout ce qui avait été publié sur la rose, dans la science, la littérature, la poésie et les arts. Une section s’occupait de la rose dans la parfumerie, dans la pharmacie et dans la gastronomie, car on peut préparer, avec des pétales de roses, des entremets exquis et des bonbons forts appréciés; que de gourmets ignorent que l’on peut faire des compotes de fruits de rosier, des liqueurs et même des conserves de roses!

Si de la cuisine on passe à la littérature, on trouve dans cette bibliothèque tout ce qui a paru, soit en volume, soit même en extraits dans les livres et les journaux, sur la rose, à toutes les époques depuis les poètes grecs et latins jusqu’aux dernières publications en 1914, non seulement en France, mais dans tous les pays du monde. C’est inimaginable.

Il me semble que lorsqu’il y a trois ou quatre ans. M. Jules Gravereaux me montra ces richesses, je sortis de L’Hay comme ébahi. Il avait pris le soin de se procurer non seulement toutes les poésies publiées sur la rose, mais encore tous les contes écrits sur cette fleur. Il y en a des milliers et des milliers.

Dans les poètes français, on retrouve les très belles poésies d’Adam le Roi, du XVIIIe siècle, si peu connues, jusqu’aux plus récentes. La période révolutionnaire est particulièrement riche. Sans parler de la chanson de Robespierre aux « Rosati » d’Arras, on trouve :

En 1789, « Les Quinze Ans de la Rose », de Parny;

En 1790, « Le Nouvel Amant », d’un poète qui signait C. B. d’E.;

En 1791, « La Chanson Allégorique »;

En 1792, « Tendres Filles de Flore, image du Plaisir », de Favart;

En 1793. « Aimables Fleurs à peine écloses », d’Hoffman;

En 1794. « L’Amour aime les Champs », d’André Chénier;

En 1795, « L’Éloge de la Rose », par un anonyme qui, cette année-là, écrivit une douzaine de poésies sur la rose;

En 1796, « La Feuille », d’Arnault; « Voyez cette naissante Rose », de Baour-Lormien.

On pourrait écrire une histoire de la Rose sous la Révolution.

Les fables, les chansons innombrables, les centaines de pièces de théâtre, où le rose joue un rôle, à commencer par la « Rosière de Saleusie » (1769), de Favart •, en passant par « La Madone des Roses » (1869), de Victor Séjour, « La Fée aux Roses » (1861), de Scribe; la « Rose de Saint-Flour » (1898), de Michel Carré; « Les Roses jaunes » (1867), d’Alphonse Karr; la « Rosa Bleue », de Brieux, pour finir par la « Fête des Roses » (1903), la comédie historique d’Émile Blémont et Truffier.

Cet homme étamant avait réuni les reproductions des tableaux célèbres, où les roses sont mises au premier plan, chez les anciens et les modernes, Boucher, Drouais, Mignard, Murillo, Nattier, Rubens, Van Loo, Mme Vigé Lebrun, Bouguereau, Chaplin, Dubuffe, José Frappia, Madeleine Lemaire, Turner, Tattegrin, j’en passe des centaines; il faudrait copier un long catalogue. Les sculpteurs, les architectes, les dessinateurs, graveurs et lithographes, ont leur large part dans ce musée.

Rien n’est oublié. Ni l’application de la rose dans les beaux-arts, reliure, philatélie, médailles, meubles, tissus, ornements d’église, orfèvrerie, porcelaines, vitraux, papiers peints et modes.

M. Jules Gravereaux était non, seulement un collectionneur rare et un artiste, mais encore un homme pratique; il avait été chargé par le Gouvernement d’une mission dans la péninsule des Balkans, en 1901, et il avait étudié les moyens, d’ailleurs rudimentaires et défectueux, quand la fraude ne s’en mêle pas, de fabriquer l’essence da rose de Bulgarie qui, avant la guerre, fournissait toute la parfumerie française, anglaise et des États-Unis. La France achetait une moyenne de deux millions cinq cent mille kilos d’essence de rose, dont le prix était de mille francs le kilo; il y avait là des millions qu’on aurait pu économiser, car si les horticulteurs français avaient suivi les conseils donnés par M. Jules Gravereaux dans son rapport, ils auraient pu aisément produire mieux et plus loyalement. Si nos pépiniéristes de Provence voulaient s’en donner la peine, il y aurait là une source de gros revenus et ils pourraient couper le commerce des Bulgares, qui ne l’auraient pas volé. Mais qui a lu le rapport de M. Gravereaux? Quelques curieux. Il a pourtant été publié dans le « Bulletin du Ministère de l’Agriculture no 3 (1901). Je le signale à ceux qui seraient tentés de gagner beaucoup d’argent avec un capital restreint.

M. Jules Gravereaux, qui inventait des qualités nouvelles par des croisements ingénieux, baptisait toutes ses nouvelles-nées, le jour où il me fit l’honneur de L’Hay, il voulait donner mon nom à une jolie fleur rose tendre qu’il venait d’obtenir; sur mon refus persistant et comme je lui alléguai) qu’on devait réserver, à mon sens, des noms de femmes pour désigner des fleurs, il l’appela Marie-Louise Néron, et rien ne pouvait m’être plus agréable.

Mais c’était aussi un patriote sincère. Dès les premiers jours du mois d’août, il avait débaptisé la « Reine Olga de Wurtemberg » les « Frau Drauschki », les « Kaiserin Augusta Victoria »; ces fleurs qui, par un singulier hasard, sont rouge sang, furent appelées la « Résistance », la « Combattante » et la « Victoire ». Quand le roi de Bulgarie se vendit â l’Allemagne, M. Gravereaux, qui avait dans sa collection la « Ferdinand de Bulgarie », l’arracha de ses jardins : « Elle est laide d’ailleurs, dit-il, elle est jaune, couleur de la traîtrise, et c’est une des rares roses qui sentent mauvais; je n’en veux pas. »

Jean-Bernard


Garden & home builder. 1916-07 Gravereaux, Jules - Décès (The Garden Magazine) p342_wp

IN THE death of Jules Gravereaux, which took place in April, the world has lost one of the most famous rosarians of all time. The following brief account of his career, taken from the (London, England) Gardeners’ Chronicle, is based on a detailed account in the Revue Horticole:

« Formerly manager of the Magasins du Bon Marche, Jules Gravereaux became the possessor, in 1892, of the mansion of L’Hay (Seine), a village which, since 1910, has been known as « L’Hay les Roses. » No sooner was he established on his property, in the middle of a region where Rose growing has always been an important industry, than he began to collect and study the flower, of which he had soon gathered together nearly 1,500 varieties.

In 1899 he asked Edouard Andre to draw up a plan of the Rosary, which rapidly became more and more celebrated, until it attained to a world-wide fame. Jules Gravereaux soon realized that his work would mean more than simply collecting horticultural varieties; he was bent on placing them in a setting worthy of their value, and making a collection of botanical species of the genus Rosa, which would serve the interests of scientific research and facilitate the production of new varieties by crossing.

He formed at the same time a special herbarium, and a library which contained practically every publication of any kind devoted to the Rose. Among new Roses which we owe to L’Hay at least twenty could be mentioned which possess special merit. Such are Amelie Gravereaux (1904), Madame Ancelot (1901), Madame Ballu (1905), Madame Henri Gravereaux (1904), Madame Julien Potin (1912), Madame Labori (1908), Madame Lucien Villeminot (1904), Madame René Gravereaux (1907), Madame Tiret (1907), Madeleine Fillot (1907), Rose à parfum de L’Hay (1901), Madame Pierre Lafitte (1907), Les Rosati (1907), Madame Ruau (1908). Gravereaux presented to the city of Paris a collection of Roses, from which originated the Rosary of Bagatelle, where each year an international exhibition of new Roses is held. When Monsieur Osiris presented to the nation the mansion of La Malmaison, it was to Monsieur Gravereaux that Monsieur Ajalbert turned for help in reconstructing the collection of Roses made by the Empress Josephine on this historic estate. It was no easy task to search out the two hundred and fifty species or varieties which had been for so long abandoned by horticulturists. Thanks, however, to long and patient research, one hundred and ninety-eight of them have been discovered and replaced.

« Among the publications issued from L’Hay the following may be cited : Collection botanique du genre Rosa, 1889; Catalogue des Roses à la Roseraie de L’Hay, 1905; La Culture des Roses dans les Balkans, 1901; Essais de fabrication d’essence de Roses à la Roseraie de L’Hay, 1906; Manuel pour la description des Rosiers, 1905; La Rose dans les lettres, les sciences, et les arts, 1905; Histoire rétrospective de la Rose, 1910; Les Roses à la Roseraie de L’Hay, 1915. We trust that the work of Jules Gravereaux will be continued by his sons, who have collaborated in it and are in a position to understand its great importance. »