La roseraie de L’Élysée

On ne connaît que fort peu de choses de la roseraie qui, pendant plus d’un demi-siècle, a embelli les jardins du Palais de l’Élysée…

Aménagée en 1914 par Jules Gravereaux, elle fut amputée en 1958 pour permettre l’extension du Palais; puis elle disparut complètement dans les années ’70, remplacée par un simple parterre.

1932 Poincaré, Raymond L'Année trouble (1917) p0_wpLe président Raymond Poincaré en fait une description dans ses mémoires :

« Le miracle du jardin, c’est la roseraie, installée il y a trois ans par M. Gravereaux à la demande de Mme Poincaré, et qui fleurit sous les fenêtres du palais. Les rosiers grimpants habillent les réverbères, recouvrent les vieux troncs d’arbres de housses fleuries, festonnent et enguirlandent les espaliers. La roseraie comprend deux parties, l’une rectangulaire qui s’encadre entre le bâtiment principal et l’aile où se trouve mon cabinet, l’autre, circulaire, qui s’adosse aux premiers massifs du jardin. De sorte qu’un joli coin de parterre à la française forme comme un vestibule de style classique à l’entrée du grand parc anglais et romantique qui s’étend par derrière. Mais il faut revenir aux réalités. »

L’hebdomadaire Le Cri de Paris du 15 août 1915 raconte à sa façon l’origine de la roseraie…

1915-08-15 Le Cri de Paris c0_wp« A l’arrivée de M. Poincaré à l’Élysée, quelques fusains rachitiques achevaient de dépérir dans le jardin du Palais, lentement tués par l’ombre des grands arbres.

Pour égayer un peu la tristesse de la résidence présidentielle, on décida d’y établir une petite roseraie. Mais comment ? Les jardiniers de la maison s’entendent surtout à ratisser les allées et à ramasser les feuilles mortes.

Mme Poincaré eut l’idée de faire incognito le pèlerinage de la roseraie fameuse de l’Hay. Le créateur de la roseraie, M. Jules Gravereaux, lui demanda galamment d’être la marraine d’une rose, inédite encore, et qu’il venait d’obtenir de semis, par le croisement de Mélanie-Soupert par Prince de Bulgarie. C’est un magnifique hybride de rose thé, au bouton compact, en forme d’urne. Les pétales, à leur épanouissement, sont d’ocre vif sur fond d’or éteint.

M. Gravereaux offrit, par surcroît, de pourvoir personnellement à l’entretien de la roseraie de l’Elysée. Sur ses indications, des carrés furent défoncés et enrichis de fumures appropriées. Mais, malgré tous ses soins, les rosiers se refusèrent à croître et à prospérer dans le jardin de la Présidence. On décida alors que, chaque année, les plus somptueuses variétés, préalablement élevées en pots à la roseraie de l’Hay, seraient transportées au faubourg Saint-Honoré, quelques semaines avant la floraison.

Cela se passait au mois de juin 1914, six semaines avant la guerre que les Allemands nous accusent d’avoir préparée. »

Faute d’autres informations, on peut relever certains moments de l’histoire de cette roseraie dans les livres qui ont été écrits sur le Palais de l’Élysée, ses occupants et ses occupantes :

Raymond et Henriette Poincaréà l’Élysée de 1913 à 1920

« Depuis quinze jours, la roseraie de l’Élysée est en pleine floraison et répand une délicieuse odeur. Le jardin est rempli d’oiseaux… Le jardin de l’Élysée est délicieux. C’est vraiment lui qui me permet de supporter la tristesse de ma prison. » (1)

« Poincaré n’était pas homme à modifier cet état de choses. Il eut au moins le mérite de faire installer dans le palais un premier embryon de calorifère (jusqu’à lui, on entretenait du feu dans toutes les cheminées) et de substituer l’électricité aux lampes à huile qui éclairaient encore les bureaux du palais, y compris le sien. Il supprima le garde républicain qui veillait la nuit devant la chambre de ses prédécesseurs, remplaça la cuisinière gasconne de Fallières par un chef. Dans le jardin, entre le corps central et l’aile latérale, il fera aménager une roseraie dont les arceaux métalliques subsisteront jusqu’à Georges Pompidou. » (2)

René et Germaine Coty à l’Élysée de 1954 à 1959

« René Coty accomplit une petite révolution en abandonnant le bureau de ses prédécesseurs, qui devint celui de son directeur de cabinet. 11 s’installa dam une autre pièce de l’aile, offrant une meilleure vue sur les jardins, et y fit accrocher deux Corot, Le Matin et Le Soir : l’ère des tableaux militaires était révolue et ce seizième Président était, semble-t-il, le premier à se montrer amateur d’art. Dans le parc, la roseraie fut réinstallée. » (2)

Charles et Yvonne de Gaulleà l’Élysée de 1959 à 1969

« II n’est donc pas surprenant que Mme de Gaulle se soit si bien entendue à l’Élysée avec M. Harry, l’homme chargé de la décoration florale. Lors de la première réception officielle qu’elle donne à l’Élysée, quelques jours après son arrivée, Yvonne décide d’imposer son style. Les convives viennent de s’asseoir et le ballet des grands valets en habit bleu commence autour de la table dans le salon Murat transforme en salle à manger.

1994 DdVdM - Mémoires de Roses p60 - Roseraie de l'Élysée (Présidence de la République)_wpLa moitié du gouvernement est présente; chaque ministre est accompagné de sa femme. Le Général préside, ayant à sa droite Mme Debré. La générale lui fait face, dans une robe noire, sans un bijou.

Mais qu’y a-t-il donc de changé dans cette maison? demande l’un des ministres à sa voisine.

Du regard, elle lui désigne les coupes de roses thé qui transforment la longue table aux quarante couverts en un superbe parterre fleuri…

Fleurir l’Élysée est l’un des rares plaisirs de la présidente de Gaulle. La fille de M. Khrouchtchev déclare en quittant la France que la plus jolie chose qu’elle avait vue dans notre pays, ce sont les bouquets de l’Élysée!

Yvonne descend souvent dans les sous-sols voutés du palais, à deux pas des cuisines, ou on les prépare. Sur les étagères s’alignent les vases groupes par genre : vases de cristal, vases Médicis, compotiers de la manufacture de Sèvres… Pour composer ses bouquets, les fleuristes interprètent des variations sur quelques thèmes connus. L’important, ils le savent, c’est la rose. Elle chérit les roses thé (pour les rosiéristes l’aristocratie de l’espace) si parfumés pour les bouquets, comme la jaune Ophélia ou l’écarlate Piccadilly. Sa seule innovation à l’Élysée est la destruction d’une cloison qui coupe l’un des salons donnant sur la roseraie. La pièce plus claire peut ouvrir ensuite directement sur ses fleurs préférées. » (1)

« Le ministre fut stupéfait : la consultation avait été annoncée quinze jours plus tôt et, depuis, de Gaulle ne cessait de talonner ses services. Si, moins surpris, Jeanneney avait saisi la perche avec la même fougue qu’il avait montrée lors de l’affaire de la dévaluation, le régime eût peut-être été sauvé. Mais, en ce moment, dans la salle à manger donnant sur les arceaux bêtement prétentieux de la roseraie de Poincaré, le ministre ne vit que l’immédiat. » (2)

Georges et Claude Pompidou à l’Élysée de 1969 à 1974

« Délaissant la chambre de l’extrémité de l’aile, où avaient dix ans durant habité les de Gaulle, le couple présidentiel s’installa dans les deux chambres d’amis de l’appartement, face à l’ancienne roseraie. Celle du Président fut meublée en Louis XVI, avec une toile d’Odilon Redon. Dans celle de Mme Pompidou, le tapis blanc dessiné par Hajdu supporta une armoire, une commode et une table Empire, des chaises Restauration et un bureau à cylindre du XVIIIe siècle estampillé Molitor, voisinant avec une table moderne en altuglas d’Amal.

[…] Le soir, le couple descendait souvent tard dans les salons pour disposer le mobilier, chercher les meilleurs emplacements. Ces tâches décoratives n’étaient pas superflues pour Claude Pompidou, peu attirée, nous l’avons dit, par l’apparat, et qui contentèrent aussi sa passion des fleurs en inspirant la transformation des jardins. L’espace entre l’hôtel proprement dit et le retour de l’aile était occupé, depuis Poincaré, par une roseraie limitée par des arceaux métalliques surannés. Ceux-ci disparurent et le parterre fut redessiné pour dégager, depuis l’aile latérale, la vue sur les jardins. En 1971, le parc lui-même fut remanié : des perspectives plus savantes y furent pratiquées, et l’on supprima la balustrade 1900 située devant la grille du Coq, ainsi que le dernier vestige de la rivière de Beaujon, le bassin, croupissant et générateur de moustiques dont se plaignaient les voisins, insensibles à l’honneur d’être piqués par les insectes du Président. Désormais, le parc se présenta sous l’aspect d’une vaste pelouse incurvée, entourée de massifs d’arbres disposés avec élégance. » (2)

Valéry et Anne-Aymone Giscard d’Estaing à l’Élysée de 1974 à 1981

« Côté jardin, l’influence de l’épouse du président est plus sensible :

— Pour le parc, je choisissais les fleurs. Il me suffisait de dire ce que je désirais que l’on plante. J’ai simplement fait changer le dessin de la roseraie du jardin qui datait du président Coty.

Un parterre de broderies à dessin de palmes est donc planté à l’emplacement de la roseraie. » (1)

Jacques et Bernadette Chirac – à l’Élysée de 1995 à 2007

« Elle fait planter des roses thé et des roses blanches dans le parc. Elle veille aux bouquets d’apparat (avec, comme Claude Pompidou, le blanc comme couleur dominante) qui ornent la salle à manger du premier étage. » (1)

*****

(1) Meyer, Bertrand. Les Dames de l’Élysée – Celles d’hier, celles de demain. Librairie Académique Perrin, Paris, 1987.

(2) Poisson, Georges. L’Élysée, histoire d’un palais.

Photo : Villalobos, Nadine. Mémoires de Roses.  La Roseraie de Jules Gravereaux (1894-1916).  Catalogue d’exposition.  Conseil général du Val-de-Marne, 1994, 63 p.