Biographie de Jules Gravereaux (François Joyaux)

Jules Gravereaux (1844-1916)

Avec l’âge, on a souvent tendance à revenir dans son pays d’origine. Ce fut le cas de Jules Gravereaux, lorsqu’il achètera sa propriété de L’Hay. En effet, il était né tout près, à Vitry, le 1er mai 1844, dans une famille modeste. Jules Gravereaux est parfois présenté comme un homme immensément riche dont la Roseraie de L’Hay n’aurait été qu’une fantaisie. Quelle erreur ! En fait, il était issu d’un milieu très modeste de la banlieue parisienne. En effet, son père, Jean Narcisse Gravereaux, était tout simplement menuisier à Vitry (mais on note parmi ses ascendants, des pépiniéristes de Vitry et Villejuif). Et lui-même commença comme apprenti chez un bonnetier parisien de la rue du Bac, M. Caillault. Sa chance fut de trouver un travail chez des merciers qui feront leur chemin, M. et Mme Boucicaut, les fondateurs du « Bon Marché », toujours rue du Bac. Cette situation lui permit très vite de « s’installer » dans la vie. En 1873, il se marie avec Laure Thuillier, mais il faudra néanmoins attendre 1885 — il avait alors 41 ans -¬pour le voir acheter un appartement, avenue de Villars, à Paris. Il travailla chez les Boucicaut plus de trente ans, s’y fit une situation très confortable qui lui permit, en 1892, jeune encore —il n’avait que 48 ans— de faire l’acquisition, à L’Hay, d’une belle et vaste propriété.

Ce domaine, situé à Lay (comme on appelait ce lieu avant la Révolution), avait été constitué par l’orfèvre Henri Auguste. Appartenant à une ancienne famille d’orfèvres (son père était Robert Auguste, déjà assez connu), il avait acquis une certaine notoriété sous le règne de Louis XVI, mais ce furent le Consulat et l’Empire qui le consacrèrent : c’est à lui que la Ville de Paris avait commandé le célèbre surtout dessiné par Percier et Fontaine, qu’elle offrit à Napoléon ter pour son couronnement. Par divers achats, Henri Auguste avait réuni là un vaste ensemble de terres et y avait fait ériger une belle « Maison Empire » (qui est aujourd’hui la résidence du sous-préfet). Mais il fut contraint de vendre l’ensemble en 1810, et une partie du domaine passa à un ancien maître de Poste de Villejuif, puis à divers autres propriétaires. En 1892, Gravereaux acheta finalement ce domaine de onze hectares, aux héritiers d’une certaine dame Leprince-Duclos.

La maison, entourée d’un vaste parc à l’anglaise, était alors flanquée d’un grand potager : c’est dans ce dernier que Gravereaux allait installer sa collection de roses, à partir de 1894. Nous aurons l’occasion de revenir sur les principales étapes de cette installation. Contentons-nous, ici, d’en rappeler les grandes phases.

Dans un premier temps, en 1899, c’est, au plus près de l’habitation, la serre hollandaise qui disparaît pour faire place à un « Jardin de roses ». Gravereaux en a confié l’aménagement à Edouard André, qui est alors un paysagiste fort connu, tant en France qu’à l’étranger. L’ambition est encore modeste, mais très vite, ce « Jardin de roses » ne sera plus qu’une petite partie de la vaste roseraie qu’imagine peu à peu Gravereaux. Trois ans, plus tard, en 1902, dans ce qui était le « Parc à la vache », au-delà du potager, il installe une nouvelle roseraie, dite « Jardin des collections ». Puis en 1906 — car l’année précédente, il a rencontré les Rosati, nous y reviendrons également –, il fait construire, à la suite de ce « Jardin des collections », un « Théâtre des roses », pour y organiser des spectacles. Mais parallèlement, s’intéressant de plus en plus à l’histoire de la Rose, il conçoit avec son fils Henri, une roseraie encore plus vaste qui ferait le lien entre ces premières installations : elle est achevée en 1910. À cette date, la Roseraie se présente donc à peu près dans les limites et sous l’aspect que nous lui connaissons encore de nos jours.

De rhodophile à rosomane

D’une certaine façon, ces seize années — 1894-1910 — ont transformé Jules Gravereaux. D’homme d’affaires, il est devenu rhodophile, puis finalement rosomane, au sens extrême du terme, c’est-à-dire fou de roses. Son aventure lui a fait connaître des milieux très variés et bien différents de ceux qu’il fréquentait du temps du « Bon Marché ».

D’abord, les botanistes et autres spécialistes des roses et jardins. Ainsi est-il devenu ami de François Crépin, le directeur du Jardin botanique de Bruxelles, qui prit une part considérable à l’organisation scientifique de la collection ; mais aussi d’ Edouard André, professeur d’architecture des jardins à l’École nationale d’horticulture de Versailles ; ou encore de Cochet-Cochet, horticulteur à Coubert (Seine-et-Marne), avec lequel il « travailla » les rosiers rugueux. Dans les archives de la Roseraie, la .liste est impressionnante, de ses correspondants botanistes et horticulteurs.

Mais à côté de ce premier cercle, il côtoie des milieux totalement différents. Ainsi, les Rosati et les représentations au « Théâtre des roses », le mettent-ils en rapport avec un monde radicalement opposé. Citons, à titre d’exemple, Cécile Sorel, Isadora Duncan, Jean Cocteau, et bien d’autres. Là, on était loin des horticulteurs et des érudites de la botanique.

Au-delà, Gravereaux demeure un « homme du monde ». À L’Hay, il reçoit les grands de l’époque. Il cumule les distinctions –Légion d’honneur, Mérite agricole — et les présidences d’honneur –celles de la section des roses de la Société Nationale d’Horticulture de France, de la Société Française des Rosiéristes –. Lorsqu’en 1912, il publie son livre sur Les Roses de l’Impératrice Joséphine, c’est Frédéric Masson, de l’Académie Française, qui le lui préface.

Mais tout cela n’empêche pas Gravereaux, en un certain sens, de rester homme d’affaires. Le voilà qui s’intéresse aux roses à parfum. L’extraordinaire développement de la chimie, à cette époque, les menace sérieusement. Gravereaux va donc chercher à obtenir de nouvelles variétés très parfumées pour tenter d’en améliorer le rendement et les rendre plus concurrentielles. À cette fin, en 1901, il se fait charger d’une mission dans les Balkans par le ministre de l’Agriculture : l’objet avoué de cette mission est de dégager la France de sa dépendance à l’égard de l’Empire ottoman, en matière d’essence de rose.

Toute cette activité a finalement fait de Gravereaux, un homme extrêmement influent dans le domaine des roses et des roseraies. Ainsi, est-ce à lui qu’on adresse désormais, dès 1901, pour fournir des variétés rares à la Roseraie de Sangerhausen (Allemagne) qui sera inaugurée en 1903, puis à celle de Bagatelle, qui le sera en 1907, puis, après 1910, pour créer une roseraie au Palais de l’Élysée. Consciente de la notoriété de son illustre citoyen, la municipalité décida de l’honorer, dès son vivant, en changeant l’appellation de la commune qui devint, en 1914, L’Hay-les-Roses.

Malheureusement, Jules Gravereaux devait décéder, à Paris, au plein milieu de la Grande Guerre, le 23 mars 1916. Son épouse, puis son fils Henri s’efforceront de maintenir la collection après 1918, et y parviendront effectivement durant plusieurs années. Ils seront néanmoins contraints de la vendre au département de la Seine en 1937, lequel, en 1968, la transférera à celui du Val-de-Marne, nouvellement créé, des points sur lesquels nous aurons à revenir.

Dans l’immédiat, Jules Gravereaux laissait derrière lui une œuvre de premier ordre.

~~~~~~~

 

Source : Joyaux, François.
Rosa Gallica no 24, novembre-décembre 2003.

 

Cette biographie de Gravereaux doit beaucoup aux divers fascicules relatifs à cette Roseraie, publiés par le Département du Val-de-Marne depuis 1980. Certains passages sont repris de notre La Rose, une passion française, Bruxelles, Complexe, 2001, ch. X.